ZARIÂB Spôjmaï Porte-flambeau de la nouvelle afghane
La littérature afghane contemporaine a connu un changement rapide à partir des années 1980. Les femmes ont commencé à manifester leur présence prenant la parole dans les domaines des médias, de la littérature et de la traduction. Les littératures étrangères, notamment la littérature russe et française ont eu un fort impact sur le goût littéraire des premières écrivaines modernes comme Spôjmai Zarîab, Parween Pazhwak, Maryam Mehboob, Fawzia Koofi et d’autres. Mais, la Révolution islamique et les guerres civiles des années 1990 ont entravé cet épanouissement littéraire féministe en Afghanistan, en raison de la montée des Talibans qui vont interdire aux femmes de s’exprimer ou de faire de la littérature. La plupart des femmes intellectuelles ont été contraintes de quitter le pays à cause ces troubles politiques et sociaux et se sont installées dans les pays voisins ou à l’étranger. Certaines d’entre elles ont trouvé refuge dans les pays européens et américains. La littérature féministe produisait le principal canon d’écriture d’identité féministe afghane, qui continue aujourd’hui de mettre en évidence les problèmes des femmes. Cependant, la littérature féministe en tant que genre en Afghanistan soulève de plus en plus les thèmes de l’identité féministe à l’intérieur et à l’extérieur des minorités migrantes, remettant en question l’identité fracturée, défiant ainsi les notions religieuses, sociales et patriarcales.

Originaire de Kaboul, Spôjmai Zarîab appartient à une génération des écrivains qui ont vécu la guerre, l’exil et qui ont retracé leurs destins sanglants en s’engageant à dévoiler la réalité afghane par le biais de l’écriture. Après une vie difficile en Afghanistan, en raison des circonstances sociopolitiques dégradées, Zarîab demande l’asile en France pour vivre et s’exprimer en toute liberté. Son destin dramatique explique en grande partie son choix d’enraciner ses textes dans les bains du sang afghans, dans les douleurs quotidiennes des siens. Ecrivaine engagée et humaniste, elle n’avait pas d’autre objet que de dénoncer l’état sauvage de la guerre, des Soviétiques et des Talibans. A travers des nouvelles autobiographiques et autofictionnelles, Zarîab dénonce la situation des femmes afghanes victimes d’une société patriarcale, de la ségrégation, de l’asservissement, de l’oppression, de la marginalisation, du sexisme et des problèmes du voile.
Spôjmai Zariâb attachée à son pays, communique un signifié historique et social lié à l’histoire de l’Afghanistan. Son style qui nous fait penser aux textes de Sâdeq Hedâyat. Son écriture poétique proche des poèmes d’amour de Râbé’a Balkhi, des chants des femmes pashtounes. Selon Michael Barry (spécialiste français de la littérature persane), Spôjmaï Zarîab »est l’un des trois plus grands écrivains afghans de notre temps, avec les deux poètes, Khalîlî, mort en exil, et Madjroûh, assassiné « . Ses nouvelles notamment : Ces murs qui nous écoutent (2000), La plaine de Caïn (2001) et Dessine-moi un coq (2003), Les demeures sans nom (2010) sont l’image réaliste d’une innocence enfantine et des désastres de la guerre. L’écrivaine brosse un portrait de la vie quotidienne des Afghans où les humiliations, la tyrannie des fondamentalistes, la situation de la femme afghane, la douleur de l’exil sont les thèmes qui traversent ces nouvelles.
L’écriture de Zariâb est proche de celle de Rahimi Atiq, par sa grande pluralité avec une grande dispersion des formes. Elle exprime l’individualité du « je », la cruauté du monde et la dégradation de la condition humaine, transgressant les tabous religieux et sociaux, dépassant les frontières d’une mentalité enfermée et obscurantiste. L’écrivaine opte pour la mutation et touche de manière significative, la vision moderne d’une écriture ouverte en conservant les valeurs traditionnelles de la culture persane et musulmane, mais invente un nouveau monde où le lecteur universel peut s’identifier. Son écriture dérange les Talibans parce qu’elle démasque la réalité et réveille les consciences. Issue de l’expérience de l’exil et de l’immigration, Zariâb dénonce l’implacable tragédie d’un peuple brisé par le totalitarisme religieux.
Considérée aujourd’hui comme le porte-flambeau de la nouvelle, Zariâb pénètre la société afghane en décrivant de l’intérieur la face cachée de la souffrance féminine. Ses nouvelles sont racontées par ses héros/héroïnes, l’écrivaine commente et porte un jugement moral sur ce qui se passe en Afghanistan à travers le regard de ses personnages. Les terreurs de la guerre ont inspiré la majorité de ses nouvelles qui sont écrites aux souvenirs d’une terre détruite, aux larmes des milliers de veuves, d’orphelins et d’handicapés. Les personnages de Zarîab nous racontent leur vie quotidienne sur une terre ravagée par les guerres, la sécheresse et la famine. L’écrivaine choisit des femmes et des enfants pour raconter ses histoires, car ces deux catégories sociales qui souffrent le plus de l’oppression et de l’enfermement. Il ne s’agit pas de raconter des fictions, mais de faire de la fiction un moyen de témoignage et d’engagement, dans le but de remettre en cause à la fois l’expérience personnelle de la guerre et le malheur d’une condition féminine tiraillée entre un passé sombre et un présent pesant. Dans l’un de ses entretiens, Zarîab dit que ce qu’elle écrit et écrira, ne peut pas être en dehors de ces préoccupations, ce qui justifie sa volonté de mettre à nu la face cachée d’un Afghanistan plongé dans la terreur et le bruit des bombardements.
Ainsi, les nouvelles de Spôjmaï Zariâb sont l’écho d’un peuple marginalisé et opprimé. Ecrites avec un style allusif et métaphorique, inspirées d’une réalité vécue et d’une tradition littéraire riche. Spôjmaï Zariâb écrit sous et contre l’oppression, tisse les ficelles de ses textes à la croisée des chemins, des âges et des civilisations.
Dr. Outhman BOUTISANE,
Chercheur en littérature afghane contemporaine
Outhman Boutisane est chercheur en littératures francophones et comparées. Journaliste, poète et critique littéraire, auteur de nombreux recueils de poésie, notamment Aux Odeurs des cafés, Souffles Fragmentés, Lettres à une Japonaise, Lettres afghanes. Il a publié une centaine d’articles critiques sur la littérature, consacrés principalement à l’étude de la poésie et du roman arabes, persans et francophones.
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Abdelhakim YOUCEF ACHIRA
Directeur de la publication de Trait-d’Union magazine. Membre fondateur, Ex-président et actuel SG du CLEF Club Littéraire de l’Étudiant Francophone de l’université de Chlef. Journaliste et chroniqueur à L’hebdomadaire LE CHÉLIF. Membre du jury étudiant du Prix Goncourt choix de l'Algérie 1ère édition. Enseignant vacataire au département de français UHBC.