Trait-d'Union Magazine

Volontarisme et intellectualisme: la paire qui fait défaut à l’Algérie

Après presque de cinquante-huit ans d’indépendance, après la délivrance de la domination coloniale, l’Algérie, pays libre et souverain sur son territoire, ne peut plus être qualifié de pays en voie de développement. Mais, malgré ce long parcours d’autonomie, le pays n’est pas arrivé à affermir une posture stable et confortable parmi les nations. On observe toujours la situation plutôt comme celle d’un échec de développement, en regard des richesses naturelles dont son sol en regorge, de sa position géographique stratégique dans le bassin méditerranéen, de sa grande superficie bien centrée dans la coalition maghrébine avec des frontières qui creusent des racines jusqu’en Afrique centrale.

Les cinquante millions d’habitants que compte l’Algérie, dont la large majorité est jeune d’âge, est un potentiel humain impressionnant qui aurait pu relancer la marche du pays vers un meilleur niveau de vie depuis 1962.

Faire le bilan ramène au constat négatif de décrire le parcours effectué comme un recul plutôt que d’un épanouissement. Le progrès enregistré jusque-là est dérisoire par rapport aux atouts considérables et aux moyens non négligeables dont le pays dispose. L’Algérie demeure un pays importateur à grande échelle, son économie dépend presque totalement de l’ornière des hydrocarbures. Le pays reçoit presque tous les produits nécessaires de l’extérieur, l’agriculture et l’industrie nationales étant incapables de couvrir la demande de la population. Cela explique que les secteurs hors hydrocarbures sont mal ou pas exploités, à cause des stratégies volontaristes adoptées par l’état algérien depuis sa naissance.

Le volontarisme se définit, politiquement surtout, comme une doctrine qui favorise les fonctions collectives volontaires humaines, une tendance qui impose l’application des décisions sans les discuter ou les justifier. La théorie volontaire consiste à l’obéissance aux directives dictées par l’autorité en place. D’autres courants idéologiques attestent que l’esprit volontaire repose l’idée du bien et du réel sur la volonté divine. Le volontarisme rejette toutes formes d’initiatives individuelles. L’émancipation d’un état ou d’une nation se révèle dans les changements sociaux causés automatiquement par l’activisme volontaire. Les partisans du volontarisme excluent par ce fait le sens de la créativité et de toutes les facultés relevant du domaine de l’intellect et de l’intelligentsia.

Le volontarisme dans son apparence pragmatique est un ensemble de méthodes souvent exercées par les régimes à parti unique dont le but est d’aligner les différents réflexes de la population sous l’attitude d’une même opinion. Le volontarisme, avec ses programmes qui ne dépassent pas le moyen terme, ne permet pas d’envisager le développement d’un pays sur des fondements solides. Il s’oppose d’une manière formelle à l’intellectualisme. L’exclusion de l’élément intellectuel plonge la nation dans la précarité du cadre de la vie, ralentit son évolution, installe un climat de monotonie ennuyeuse et accentue l’agressivité du comportement chez les individus.

Socrate, qui distingue l’instinct humain de l’intelligence, différencie l’homme de l’animal par la capacité du premier avec son âme intelligente à reconnaître l’existence de Dieu. Il regarde l’éthique de l’intellectualisme comme des actes raisonnés qui préviennent la faim, la soif, le froid, la chaleur, la guérison des maladies et qui augmentent les forces ou bien élargissent les connaissances. Il avoue entre les lignes de ses pensées qu’il serait improbable de recouvrir ces lacunes et de combler ces besoins, pour ne citer que ceux-là, sans faire recours à l’intellect.

Adapté dans les manœuvres du système monolithique algérien au lendemain de son indépendance, le volontarisme a beaucoup freiné l’évolution du pays pendant l’ère du parti unique, il continue cependant à sévir malgré l’ouverture démocratique et la proclamation du pluralisme politique. La présence de cet esprit nocif à la société se remarque, d’une part, par la médiocrité généralisée qui engendre des phénomènes brusques et violents comme l’incivisme des mœurs, la dégradation de l’environnement ou l’émigration clandestine. D’autre part, la classe intellectuelle se fait victime d’une marginalisation systématique qu’on observe dans la fuite massive des cerveaux vers l’étranger, dans l’enfreint du droit à liberté de s’exprimer, dans les bouillonnements revendicatifs des universitaires ou dans les mouvements de grèves répétées chez les médecins et les enseignants.

Le plus grave c’est quand l’intellectualisme se plie aux exigences du volontarisme. En effet, certains intellectuels, généralement des artistes intrus au monde de la culture, perdent le sens de leur engagement initial en devenant de simples outils de propagande qui applaudissent et cautionnent un défaut qu’ils sont censés combattre. Ils deviennent des carriéristes limités par les ordres d’une culture bureaucratisée, or la culture est un espace de liberté, un non-lieu dans lequel on ne fait pas carrière. On y croise alors des artistes sans aucun message, éloignés du rôle pour lequel ils ont été initiés : éveiller, informer, éduquer, distraire, orienter. On rencontre entre autres des journalistes qui déforment ou cachent les événements, des chanteurs qui jouent pour déguiser la réalité, des acteurs qui figurent dans des salles de cinéma fermées au public, des écrivains avec des livres ouverts sur toutes les pages sauf sur celle de la vérité, ou même des peintres qui badigeonnent des fantaisies fantastiques qui renvoient à la grande révolution.

« Nul n’est méchant volontairement », dit Socrate pour expliquer que l’erreur n’est pas toujours fortuite et qu’il faut certainement de l’intelligence pour l’appliquer. Ainsi, les bienfaits de l’intellect sont parfois un moyen pour propager le mal au lieu de l’éradiquer. Les conséquences de la dévalorisation des principes de l’intelligence peuvent induire à des pathologies sociales encore plus compliquées que les faits archaïques du volontarisme. Voilà qu’une inondation meurtrière surgit d’un caniveau bouché ou d’un immeuble bâti dans un terrain mal adapté. Voilà qu’une épidémie honteuse se propage à partir d’un oued malpropre ou d’un champ irrigué aux eaux usées. Voilà qu’un spectacle de sport dégénère et devient l’arène squattée par une foule d’émeutiers acharnés. Le discours peut fléchir plus bas quand l’actualité met l’exergue sur une stèle dénudée qu’on démolit et restaure selon les convictions d’un peuple qui s’interroge encore sur le choix de la langue qu’il faut parler ou pas.

Volontarisme et intellectualisme s’opposent fermement lorsqu’il s’agit de pensées philosophiques ou de doctrines politiques. Ils s’allient cependant, et vont parfaitement de pair pour aboutir à un état de démission qui régit une population avec un Parlement gelé comme un projet de société notoire.

Abdelkader Guérine. Écrivain.

Chronique parue dans la première édition de Trait-d’Union magazine.

Lisez Trait-d’Union magazine 1 : traitdunionmagazine.com/numeros/tu1/

Photo de Farouk TOUMI: https://www.instagram.com/kouraftoumi/

Auteur

avatar

Abdelkader Guerine est un poète et écrivain algérien auteur de plusieurs recueils de poésie parus chez Dar El Gharb. Il est aussi journaliste après une longue carrière dans l'enseignement. Passionné aussi par l'art, il a fait également ses débuts dans la peinture pour exprimer des émotions étrangement douloureuses pour teindre les mots de couleurs riches de vie. Après son premier recueil, l'Ombre de l'eau, où l'auteur essaie de traduire poétiquement l'existence comme un cadeau dont l'homme n'est jamais satisfait, il n'est pas maître d'un destin qu'il n'a pas choisi, il subit le temps et passe comme une ombre à coté de la vie. L'Ombre de l'eau voulant simplement dire l'ombre de la vie. La Fumée du vent est un deuxième recueil que le poète livre avec des images somptueuses de rêves joyeux que la réalité ne sait pas admettre, car la vie est trop courte et éphémère pour porter le bonheur que l'éternité entière n'a jamais réussi à définir correctement.

Chroniques

Chroniques

Représentation poétique du paysage maghrébin dans Je te nomme Tunisie de Tahar Bekri

Par la poésie, Tahar Bekri célèbre les richesses naturelles et culturelles de la Tunisie à partir de laquelle se dévoile l’image du monde maghrébin. En prenant appui sur le recueil de poèmes Je te nomme Tunisie, le présent article se propose de démontrer le paysage tunisien comme reflet de l’univers maghrébin et d’insister sur la célébration du patrimoine culturel arabo-musulman.

Amerigo Vespucci l’hôte d’El-Djazair

Détrompez-vous ce n’est ni le car-ferry Tarek Ibn- Ziad ni le Corsica qui ont attirés les foules en cette soirée du mardi 20 juillet, celui qui déclencha les mille et une rafales des caméra et smartphones n’est autre que le chef d’œuvre de la marine militaire italienne. Le navire école le voilier Amerigo Vespucci, une pièce rarissime sortie directement des annales de la gloire des expéditions maritimes.

Mathilde, personnage trans-classe dans le pays des autres de Leila Slimani

Si le transclasse désigne l’individu qui opère le passage d’une classe à une autre[1], la classe peut signifier dans un sens plus large un genre, une nationalité, un milieu ou une identité sociale. Le transclasse fait ainsi l’expérience d’un mouvement par lequel il passe d’un milieu de départ vers un milieu autre, sans qu’il ne […]

Le parler algérien et la littérature : L’oral, une littérature qui refuse de dire son nom.

Historiquement, les anthropo-linguistes et les philologues qui s’intéressent aux anciens langages humains pensent que c’est le Berbère qui couronnait l’espace langagier oral en Afrique du Nord pendant l’ère antique. Ces chercheurs ont du mal à localiser cette langue maternelle dans le temps. Toutefois, on suppose que le Berbère ait été accolé progressivement avec les langues anciennes parlées autour du bassin méditerranéen à travers les interpénétrations humaines du voisinage, des voyages, du commerce et des guerres.

Écrire hors des frontières de la pensée 

Onfwan Fouad et le Middle East and North Africa Surrealist Group Onfwan Fouad est une poétesse, traductrice, conteur et artiste visuelle, originaire de la région d’Aurès, dans l’est de l’Algérie. Elle a été avocate pendant sept ans et a enseigné à l’université pendant des années. Son premier recueil de poésie (Godot mange ses doigts) a […]

Mildred Mortimer sur les traces des « Djamilat »

Engagée dans la quête de la liberté, individuelle ou collective, avec les armes ou la plume, le combat pour la dignité a de tout temps resté constant chez la femme algérienne. A travers son livre « Femmes de lutte et d’écriture », Mildred Mortimer, professeure émérite de l’université du Colorado, tente d’entretenir cette flamme libératrice allumée par les « Djamilat »…

L’enfant de cœur

Elle s’était levée effarée, tremblante, inexistante, son cœur palpitait en son intérieur, son sang bouillonnait dans ses veines et ses yeux ne pouvaient se fixer sur un seul cadre. Elle aurait aimé crier, hurler, s’essouffler, mais rien ne sortait. Elle aurait aimé partir, voler, s’enfuir, elle était enchaînée. Enfermement transparent, enchaînement silencieux, tout l’attachait à […]

Algériennes, mes sœurs

Mon père disait : « C’est la femme qui tient la maison debout. » Quelle que soit la catastrophe, guerre, guérilla, séisme, incendie… Quel que soit le désastre. Il disait : « Une femme tient la maison debout jusqu’au Jour Dernier. » Elle, femme, mère, épouse. Je dirai : « Une femme met au monde, elle tient le monde debout. Elle est la […]

Femme, messagère universelle

Cette proposition est un melting-pot entre mots et photos pour exprimer les questionnements actuels de la femme d’aujourd’hui. D’un côté, je considère que l’identité est importante car elle nous permet de nous construire mais de l’autre, elle nous limite également dans nos libertés d’âmes infinies. Je crois que la vie est un chemin qui nous […]

Itinéraires : Mouna JEMAL SIALA

De l’enracinement local au rayonnement continental, l’itinéraire de Mouna Jemal Siala est un modèle du genre : née à Paris, son enfance a connu plusieurs régions et plusieurs cultures, dans le sillage de la profession de son père, haut fonctionnaire, gouverneur et diplomate.

Zahia Benzengli : Colombe de Grenade et Azur d’Algérie

Bectant les restes d’une hirondelle au printemps, le pèlerin s’envole et prend l’allure d’un cygne. Ses pieds palmés battent la tour et quittent les ruisseaux, amour d’un vers et chemins croisés. À l’exil, eusse-t-elle été condamnée à errer, Zahia voltige depuis l’Alhambra, neige sur les bois et adoucit les mœurs d’un brouillard agaçant. Elle persiste au pied d’un mur qu’elle chouette d’une aile, éparse condition d’une oiselle à concerts acheminant le mordoré à l’herbe d’une œuvre. Quant aux moineaux de Grenade, qui firent des plaisirs de l’ambroisie un nectar à ouïr, ceux-là, trouvent en elle des vertus que les ombres du destin ont bien posées ici. Voilà une curieuse façon d’entamer l’odyssée d’une femme d’Algérie qui ravit de sa voix les cieux embaumés, Zahia Benzengli.


TU N°1 l’Algérie de demain

Numéros

Édito: l’Algérie de demain (Étudiant)

L’évolution d’une nation dépend d’un système d’enseignement solide et efficace. Il est donc nécessaire de glorifier tout effort contribuant à l’amélioration de ce système, que ce soit par une suggestion ou par un fait. Cette amélioration ne peut être élaborée que par la relève du pays : les étudiants. Ces derniers ont toujours eu un […]

Je suis Darijophone

Le turban qui ornait la tête de mon grand-père ne m’a pas été transmis. À qui la faute ? Peu importe, du moment où les valeurs, les principes et les mœurs, qui furent les diamants décoratifs de cette couronne en tissu, me sont bien inculqués. Mon grand-père, qui, articulait l’arabe, roulait le R en français […]

DE LA DIVERSITE LINGUISTIQUE EN ALGERIE

Depuis la nuit des temps, le territoire algérien a été une zone d’influence et de colonisation, partielle ou totale, qui a vu passer les Phéniciens, les Carthaginois, les Romains, les Vandales et les Byzantins. Il y eut ensuite la conquête arabe puis ottomane et, en parallèle, des incursions espagnoles avec occupation de parties du territoire […]

ODYSSEE DE CITE

Vous avez dit Cité ? Qu’est-ce qu’elle a ma cité ? Pourquoi vous intéressez-vous à elle ?  Rien à vous dire et vous, rien à lui proposer ! La cité, radieuse ou pas, se suffit à elle-même. Elle se contente de peu, elle n’a pas le choix. De quoi nourrir les familles qui y vivent […]

La littérature n’est-elle pas une véritable panacée contre les maux qui nous font boire le calice jusqu’à la lie ?

D’un point de vue purement philosophique, il est possible de prétendre que la vie n’est autre qu’un incommensurable spectacle à caractère éminemment réaliste. Et de ce fait, pour qu’elle soit bonne à regarder, il faut absolument qu’elle soit jouée comme il sied, mais pour cela, il faut qu’il y ait de très bons acteurs. En […]


Suivez-nous sur les réseaux sociaux: