Vénus Khoury-Ghata, une Voix féministe lumineuse
Vénus Khoury-Ghata, poétesse, romancière, critique littéraire et traductrice d’origine libanaise, est l’une des plus grandes voix de la littérature francophone contemporaine. Auteure d’une vingtaine de romans et d’autant de recueils de poésie, elle a bâti au fil des ans une œuvre riche, couronnée de nombreux prix littéraires dont le grand prix de poésie de l’Académie française en 2009 et le prix Goncourt de la poésie en 2011. Elle a créé́ le prix de poésie féminine « Vénus Khoury-Ghata » pour honorer les poétesses contemporaines. Vénus Khoury-Ghata s’est affirmée comme une écrivaine porteuse d’une mission lumineuse, celle de faire parler les femmes à travers des histoires et des récits, où elles y sont les personnages principaux. Formidable conteuse, Vénus K. Ghata, brosse les portraits de femmes aux destins tragiques, déchirées entre le respect de la tradition et le droit à la liberté. Souvent, issues d’un milieu oriental et conservateur, ces femmes subissent le poids des règles imposées par des sociétés patriarcales et en espèrent se détacher grâce à un seul salut qui les font rêver à la liberté : l’Amour. En effet, l’amour continue à être conçu comme une échappatoire aux lois qui interdisent ce sentiment et aux désirs.

Pour les femmes des romans de Khoury-Ghata, s’autoriser le droit d’aimer est un péché, dont la conséquence est inévitablement la mort. Amour et Mort se côtoient ainsi à travers des textes entrainants, passionnants et envoutants, ce sont deux facettes d’un même destin, auquel ces femmes se débattent à leur dernier souffle pour sauver leur vie.
Deux romans reflètent ce destin tragique de deux femmes, qui, par amour (pour un homme ou pour la liberté), vont risquer leur vie et leur réputation et basculer dans la souffrance et le désespoir.
Le roman « Le Moine, l’Ottoman et la Femme du Grand Argentier » se déroule dans la fin du XVIIIème siècle, au milieu d’une société patriarcale. Il trace le destin tragique d’une femme « Marie », qui a tout quitté pour s’enfuir avec son amant « Jaafar », un Ottoman. Le Grand Argentier, son mari, se mit à sa poursuite pour la faire revenir. Il décide alors d’aller demander de l’aide aux moines afin qu’ils la retrouvent.
Cet amour défie toutes les lois et les normes de la société, nous-mêmes lecteurs sommes submergés par une émotion intense, tantôt de colère envers d’injustice, de la pitié devant ce destin tragique et de l’admiration à l’égard de cet amour inconditionnel.
Vénus K. Ghata trace dans ce roman, le destin d’une femme dénigrée par sa société et par sa famille, vouée à la mort sociale, et à la mort corporelle, seules solutions pour corriger son acte.
Dans Le Moine, L’Ottoman et La femme du Grand Argentier, Marie prend la forme d’une créature qui contrôle la situation malgré les malheurs et les mésaventures. C’est elle qui laisse attendre son mari, qui entraine Lucas le moine, dans sa dépendance à ses sentiments malgré ses vœux de chasteté.
Elle est la seule maitresse de son destin, elle décide toute seule de son sort. Et c’est encore cet amour envers Jaafar, qui lui procure toute cette force.
En poursuivant cette quête de l’être aimé, elle nous dévoile la condition des femmes dans les pays orientaux dans cette fin du XVIII siècle. L’auteure fait de son héroïne à la fois un personnage héroïque qui va contre les contraintes, esclave de ses pulsions et de son amour, qui la consument et l’entrainent vers sa fin. Son amour pour l’Ottoman Jaafar est à la fois une force et une arme destructrice, à travers les désagréments qu’elle croise sur son chemin tout au long de sa fuit ; c’est là qu’elle subit une souffrance, un anéantissement dont elle souffre d’abord de la part de son mari, de son amant et de tous les hommes qui ne voient en elle qu’une misérable créature faible. Même si elle a choisi de se défaire des règles patriarcales que lui imposent son mari et la société, Marie se confronte à bien d’autres humiliations sur son chemin.
En fuyant avec Jaafar, Marie fuit sa condition de femme soumise, elle fuit un univers fermé, qui l’empêche de vivre sa liberté. C’est donc une pulsion de vie ; cette fuite est marquée par un avènement de la peste, une échappatoire à la mort, symboliquement représentative de son union avec le Grand Argentier. C’est par l’amour qu’elle croit survivre, en s’accrochant à son droit d’aimer. Or Jaafar ne partage pas ses sentiments nobles, il ne voit en elle qu’une créature de plaisir, un objet à satisfaire ses pulsions sexuelles, comme le prouve leur mariage par mitaa, sans qu’elle le sache.
Marie devra fuir la peste une deuxième fois, après avoir été reniée par Jaafar, et rejetée par la Turquie, pays de ce dernier. Elle se retrouve sur un bateau géorgien mis en quarantaine à cause des malades qui y sont à bord. Elle parvient à le quitter car elle est enceinte : Marie échappera alors à la mort, une fois grâce à l’amour, et une autre fois en tant que mère.
Marie doit chercher où donner naissance à son enfant. Elle trouve refuge dans le sanctuaire de Yemma Bnet, chrétienne convertie à l’islam tout comme Marie.
Cet accouchement est vécu comme un scandale : d’abord, parce que ce lieu est considéré comme un lieu saint où les femmes stériles viennent prier, ensuite, parce que cet enfant est le fruit d’un amour interdit, d’un péché.
Toutes ces voix qui racontent le destin de Marie, délimite l’espace que la société veut l’y emprisonnée.
Quant au roman, Sept pierres pour la femme adultère, c’est à travers ce récit que j’ai découvert Vénus Khoury-Ghata qui m’était jusque-là inconnue. D’abord, le prénom a attiré mon attention « Vénus » qui m’a tout de suite rappelé le fameux tableau de Botticelli « la naissance De Vénus » l’une de mes peintures favorites.
Ensuite, la couverture sur laquelle on peut voir une femme voilée à l’air triste et mélancolique nous interpelle.
Dans ce roman, nous sommes face à un trio de femmes qui vont tenter d’aller à l’encontre de leurs destins, écrit par les cieux et par la religion de leur société patriarcale. Nous remarquons d’abord la symbolique des nomes qui figurent dans cet ouvrage : d’abord le village de « Khouf », qui signifie peur en arabe, c’est un village dont on ne connait ni le pays d’appartenance, ni la localisation, ni l’emplacement exacte. C’est un village perdu au milieu de la montagne, musulman, c’est le village de la peur, de la crainte, les femmes y sont des êtres de reproduction à la merci des hommes « A Khouf la Madrassa n’accepte que les garçons […] tandis que les filles restées chez elles, lisent dans les intentions et fabriquent des talismans bénéfiques ou maléfiques selon l’offre ou la demande » (Sept pierres pour la femme adultère, p.33-34)
Quant à Nour le personnage principal, qui veut dire Lumière, est condamnée à la lapidation pour un adultère qui s’avère être un viol, commis par un européen. Le choix de ce prénom n’est pas un hasard, l’auteure a voulu à travers ce roman représenter toutes ces femmes persécutées, violées, agressées et qui malgré les tentatives d’étouffement dont elles sont victimes, leur combat pour la liberté les guide telle une lumière qui ne s’éteindra jamais.
Son viol et sa condamnation à la lapidation est le symbole des persécutions dont sont victimes les femmes dans les sociétés orientales. Ces hommes qui contrôlent la vie de leurs femmes sont un peu le reflet du violeur de Noor. Dans ce village aux ports du désert, Noor attend son châtiment et c’est une autre femme qui vient à sa rescousse, Helene une française venue pour une mission humanitaire fuyant un chagrin d’amour et la mort de son chat. Croyant ainsi apaiser son cœur de ces séparations soudaines, elle se prend d’affection pour une femme dont le sort sera tragique.
L’étrangère ne comprend pas la résignation de cette femme. Consciente qu’en tant qu’humanitaire, elle ne doit pas s’immiscer dans les coutumes tribales et religieuses, elle entreprend pourtant une démarche auprès des autorités religieuses et politiques de la région. Une attitude qui accroît l’antipathie que lui portent les habitants. Son sort est désormais aussi peu enviable que celui de Noor. C’est par le biais de la voix d’Helene que Vénus Khoury-Ghata s’exprime et dénonce l’impossible entente entre l’Islam radical et l’Occident. Elle pointe une fois de plus du doigt la situation consternante des femmes arabes livrées au bon vouloir des hommes. Considérées comme des esclaves, valant moins que des animaux domestiques, leur seule raison d’être est de procréer et d’assurer le bien-être d’hommes paresseux et peureux qui consacrent leur peu d’énergie à les maintenir sous le joug de l’ignorance.
Vénus Khoury-Ghata est l’une des voix littéraires féminines qui a fait de la condition féminine une des thématiques principales de ces œuvres, à travers une langue poétique envoutante, elle fait de ses écrits un pamphlet féministe et rend hommage à toutes ces femmes qui par amour, pour un homme, pour leurs enfants et pour la liberté ne cesseront de suivre le chemin obscur imposé par leurs sociétés, et qui leur mènera à la Lumière qui les attend au bout. Une lumière que porte Vénus Khoury Ghata dans sa plume.
Yasmine Ben Amor

Diplômée d’un Master de Recherche en Littérature Contemporaine, enseignante de langue française à l’Institut de langues. Amor Yasmine prépare actuellement une thèse de Doctorat en poésie contemporaine et en Stylistique sur l’œuvre poétique écrite en français du poète francophone italien Giovanni Dotoli à la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Sousse.
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