Sont-elles dangereuses ?
Longtemps considérée comme le sanctuaire des hommes, l’écriture a été, pendant des siècles, une activité exclusivement masculine. Jusqu’à une époque toute récente, les femmes ont été exclues de l’espace scriptural. Et pour cause ! Traditionnellement invitées à la discrétion, volontairement invisibilisées et reléguées aux tâches domestiques, celles-ci étaient maintenues dans un état de dépendance intellectuelle, doublée d’une injonction au silence. Leurs voix n’étaient pas les bienvenues, c’est ce qui explique pourquoi l’histoire littéraire occulte un grand nombre d’entre elles.

Longtemps considérée comme le sanctuaire des hommes, l’écriture a été, pendant des siècles, une activité exclusivement masculine. Jusqu’à une époque toute récente, les femmes ont été exclues de l’espace scriptural. Et pour cause ! Traditionnellement invitées à la discrétion, volontairement invisibilisées et reléguées aux tâches domestiques, celles-ci étaient maintenues dans un état de dépendance intellectuelle, doublée d’une injonction au silence. Leurs voix n’étaient pas les bienvenues, c’est ce qui explique pourquoi l’histoire littéraire occulte un grand nombre d’entre elles.
C’est tardivement, selon les époques et les sociétés, que certaines ont osé sortir des limites imposées à leur sexe pour s’engager ouvertement sur le chemin de l’écriture de manière légitime. Conscientes des préoccupations de leurs environnements, elles ont d’abord écrit dans une sorte de bras de fer contre un système de pensée hostile qui ne cesse de les rappeler à leurs « devoirs domestiques », dits naturels, en rapport avec leur statut de mère et d’épouse.
Pourtant, franchissant les obstacles difficilement mais vaillamment, les femmes qui écrivent sont parvenues à affirmer leur génie en s’imposant dans un style d’écriture distingué qui bouscule les codes habituels. Et, tandis qu’habituellement on leur demande de ne pas faire parler d’elles, beaucoup ont brillamment secoué la scène littéraire internationale. Mettant à mal les préjugés auxquels était confronté leur sexe, celles-ci ont abordé des thématiques nouvelles qui déconstruisent les approches essentialistes. Souvent, leur écriture, jugée audacieuse, dérange. C’est pourquoi, la percée d’un nombre non négligeable d’entre elles s’accompagne d’une marginalisation familiale ou sociale. Loin des clichés doucereux, associés à l’écriture féminine qui ne sont là que pour la discréditer, les textes des femmes de lettres surprennent par des prises de position audacieuses. En effet, de plus en plus entreprenantes, ces dernières, sortent de leur silence et n’hésitent plus à pointer du doigt ce qui ne va pas. Leurs productions prennent une place non négligeable dans la scène intellectuelle car elles osent désormais « dire » et « écrire » pour faire évoluer les mentalités.
Controversées, nombre d’entre elles s’inscrit dans la perspective d’une « écriture de l’émancipation » visant délibérément à bousculer les habitudes communes. Un positionnement inévitablement politique qui a fait de celles-ci de véritables icônes de l’engagement en faveur des droits humains comme Nawal El Saadawi, Colette, Assia Djebbar, Doris Lessing, Virginia Woolf, Margaret Atwood, Fatima Mernissi, Simone de Beauvoir, etc. Grâce à ces pionnières, la scène littéraire continue encore à s’enrichir à travers des genres littéraires divers. D’autres grands noms se distinguent ainsi par une production prolifique portée entre autres sur l’intersectionnalité et sur la pensée universaliste. Toutefois, malgré ce foisonnement, l’acte de l’écriture n’est pas réellement à l’abri de l’angoisse. Pour preuve, les écrivaines, tout comme d’autres acteurs du monde culturel, continuent à surmonter un grand nombre d’obstacles afin de faire reconnaitre leur travail (Delphine Naudier Paris, 2010). De plus, à différents niveaux, les assignations sexuées maintiennent les inégalités entre les sexes. Pire encore, dans certains pays, les femmes qui écrivent se mettent réellement en danger. C’est ce que soulignent plusieurs travaux récents sur la création artistique féminine, sur ses défis et ses enjeux qui affirment que les mots des femmes dérangent. Celles qui, dans leurs écrits, osent lever le voile sur les injustices, sont considérées comme de véritables menaces et tombent sous le joug des sentences juridiques injustifiées. L’objectif étant de les ramener à la case du silence initialement prévue pour leur sexe. Ce fut le cas pour l’écrivaine turque Aslı Erdoğan, la poétesse iranienne Sedigheh Vasmaghi ou encore la traductrice, poétesse et éditrice chinoise Chimengul Awut.
D’autres femmes de lettres sont lâchement assassinées car leur voix dérange. C’est ce dont témoigne le terrible assassina de la poétesse haïtienne Farah-Martine Lhérisson Lamothe perpétré en 2020. Aussi, à la lumière de ces observations, il est incontestable qu’hier comme aujourd’hui, la littérature des femmes est marquée par le sceau des défis. En perte et en gain de visibilité, la lutte pour l’affirmation et la reconnaissance pleine n’est pas encore gagnée. La réception critique des œuvres montre, qu’encore aujourd’hui, les écrivaines ne sont pas reconnues comme elles devraient l’être. C’est ce qui explique la place encore minoritaire qu’elles occupent dans les publications. Ce constat est d’ailleurs valable à l’échelle mondiale (Carolina Ferrer, Montréal, 2019). C’est pourquoi nous sommes en droit de nous demander pourquoi celles qui écrivent sont considérées encore aujourd’hui comme dangereuses ?
Pour tenter de répondre à cette question centrale, le troisième numéro Trait-d’Union magazine a fait le choix de se pencher sur le sillon de la création littéraire des femmes. En ouvrant ses horizons à la littérature mondiale sous le titre « Elles écrivent : une traversée littéraire », ce numéro nous embarque dans un voyage dans le temps et dans l’espace. Sans récriminations aucune, ni animosité, il s’agit de rendre compte ici de l’écriture des femmes de lettres en lien avec leur univers, leurs défis, leurs aspirations et leurs trajectoires. Outre sa disposition à nous faire comprendre la fabrique des mots et les remous de la création, nous pouvons dire que l’originalité de ce troisième numéro réside dans sa capacité à mettre en avant des plumes très contemporaines qui, nous en sommes certains, marqueront les imaginaires.
Pour finir, je dirai que j’ai été ravie d’observer un engouement pour la création littéraire des femmes surtout de la part des jeunes chercheurs qui n’ont pas hésité à mettre en avant des femmes de lettres peu connues et peu étudiées à travers une série de portraits, d’interviews, des traductions, des analyses et des comptes-rendus rendu de lectures. Grâce à des contributions d’hommes et de femmes qui nous sont parvenues du monde entier notamment du Gabon, Inde, USA, Algérie, Île Maurice, Belgique, Haïti, Tunisie, Liban, les Antilles, Italie, France, Maroc, ce numéro s’est naturellement construit comme une odyssée humaine sur les mots.
Encore une fois, en ces temps de distanciation sociale et de confinement géographique, la littérature nous rassemble au-delà de l’adversité. Quel bonheur de constater que son pouvoir fédérateur ne s’estompe pas ! C’est pourquoi, je tiens ici à remercier chaleureusement chaque contributeur pour son travail mais aussi pour l’originalité et la qualité des articles proposés. Chaque page de ce magazine est une véritable découverte pour les passionnés de littérature mais aussi une modeste pierre rajoutée à l’édifice de la recherche littéraire. Un grand merci à la photographe libyenne Hiba Shalabi qui a illustré la couverture de ce numéro. Je remercie également, le directeur de la publication M. Abdelhakim Youcef Achira et toute l’équipe de Trait-d’Union magazine pour sa confiance, pour sa créativité et pour sa remarquable synergie qui a permis à ce troisième numéro d’arriver à bon port.
Découvrez le numéro en entier sur #calaméo
Directrice de La Rédaction
Imèn MOUSSA est docteure en littératures française et comparée, enseignante, cofondatrice des Rencontres Sauvages de la Poésie et membre de l’association Atlas pour la promotion de la traduction littéraire au Collège International Des Traducteurs Littéraires. Directrice de la publication pour Trait-d’Union Magazine, elle consacre ses recherches sur l’écriture des femmes dans le Maghreb contemporain. Sa passion pour l’art visuel, ses textes et ses voyages autour du monde sont autant d’invitations à une Humanité qu’elle qualifie d’« infrontiérisable ». C’est dans ce sens qu’elle collabore comme auteure et photographe dans plusieurs revues artistique en Afrique, en Europe, en Amérique du Nord et en Amérique latine comme Débridé, Cavales, Lettres d’hivernage, Grito de Mujer, Souffles sahariens, L’Imagineur, Les embruns... Elle est l’auteure de l’essai Les représentations du féminin dans les œuvres de Maïssa BEY, publié aux Éditions Universitaires Européennes (2019) et d’un recueil de poésies Il fallait bien une racine ailleurs, paru aux éditions l’Harmattan (2020).