Trait-d'Union Magazine

ROUGE IMPURE

Sang de mes menstrues. Sang de mes entrailles. دم الحيض. Sang cyclique. Sang impur, de la fille devenue femme. Femme-diablesse. Folle fieffée. Femme pécheresse. Âsiyah ! Ya latif, ya latif !

En ce premier jour de l’écoulement de mes menstrues, je serai confinée dans la pièce de mes supplices éternels, loin de l’odeur capiteuse du jasmin de notre jardin. Je passerai deux jours et une nuit dans ce lieu, sans fenêtres, situé dans l’aile sombre de notre demeure, noyée dans l’obscurité. A l’entrée de la pièce, ma mère allumera trois bougies et brûlera de l’encens de la Mecque ; il paraît que اللُّبَّان, cette résine odorante a le pouvoir de neutraliser les forces viles et d’annihiler toute velléité de liberté. 

Je ne toucherai pas au Coran Saint. Je ne me mêlerai pas aux autres afin de ne point les souiller. Je ne parlerai pas afin que ma voix impure ne tue pas l’essence des mots. Je ne courrai pas dans la maison pour que mes pas n’éloignent pas les anges de la miséricorde. Je ne me laverai pas pendant deux jours afin que le sang de mes menstrues ne souille pas l’eau du robinet. Ma mère veillera à ce que je n’enfreigne pas les coutumes. Elle a été investie de cette mission dès sa naissance.

Reproductrice des mœurs rétrogrades et humiliantes pour les femmes ? Ma mère ? Elle qui souffre du pouvoir autoritaire de mon père ?

Dans la chambre de mes rêves enfouis, je tourne en rond, les sens en alerte. J’épie j’écoute je tousse.  Ma respiration est saccadée. J’étouffe !

Le sang noir de mon sexe, demeure sacrée des hommes, coule à flots. L’odeur ? Rance ! Elle inonde mon corps et imprègne mes vêtements. 

Sang Sale Liquide poisseux. وَسِخ. Son odeur se répand dans la maison. Tâche Souillure عار Honte Déshonneur فضيحة

 « Ça pue la fille devenue femme. Aérez ! Ouvrez portes et fenêtres ! Purifiez notre demeure ! Vite ! Ça sent la fille devenue femme ! Ô malheur ! Que Dieu nous préserve du déshonneur et de la honte ! criait mon père qui faisait mine de s’évanouir. Le sang des femmes l’horripilait. Il l’excitait. Il le rendait fou.

Angoisse. D’être devenue femme. Regret. Des jours de ma jeunesse insouciante. Je n’aurai plus le droit de courir dans la maison. Ça a été décidé en conseil familial. Dès que ma mère informa mon père de l’arrivée de mes lunes, il réunit mes frères et ensemble, ils édictèrent des règles qui me confinaient dans une identité de procuration. Dorénavant, et toute ma vie durant, je ne serai que la fille de mon père, bent si flen. Je n’existerai qu’en qualité d’épouse – mart flen. Je ne serai identifiée que comme la mère de mes enfants – oum wladi. Cette assignation identitaire ne présageait rien de bon pour moi. Moi qui aimais courir à tout vent. Moi qui laissais vagabonder mes rêves dans les ruelles inexplorées de la vie et de ses embellies inattendues. Moi qui rêvais d’exister par moi-même dans un avenir prometteur et radieux.

Un filet. Rouge vermeil. Sang de mes menstrues. دم الحيض.

 « Laisse couler ton sang pour expulser les mauvais esprits, criait ma mère.

Sang de mes règles. Un filet. Noir charbon.

 « Le sang des menstrues porte malheur », ruminait mon père en s’empressant de faire ses ablutions.

Le sang de mon assujettissement ruisselle le long de mes jambes.

« Dites-lui de fermer ses cuisses. Attention elle les ouvre. C’est du mauvais sang. C’est haram. Halte à la malédiction qui nous guette. حَرَام », fulminait mon plus jeune frère.

Un caillot de sang noir tombe sur le carrelage de la chambre. Deux djinns se le disputent.

« Ouvre tes cuisses, vite ! Le chat ne va pas tarder à arriver. Il aime le sang impur », murmurait ma mère dans mon oreille qui rougissait de pudeur.

Sang de mon innocence. أحمر. Rouge écarlate. Il coulait à flots pendant que ma mène parlait fébrilement, « le sang des filles vierges est une menace pour l’autorité des hommes. Il a la pouvoir de les affaiblir. Le sang des femmes fortes et têtues a la vertu d’anéantir la puissance masculine. Laisse le chat le lécher. Il le dépouillera de ses vertus. Ton sang Ton sang Ton sang. Il nous préservera du déshonneur ! »

J’ai écarté mes cuisses, et j’ai laissé le sang de mes menstrues couler le long de mes jambes. Le chat a passé toute la nuit à le lécher. Lorsqu’il fut repu, il disparut dans l’obscurité de la chambre de mon abdication.

Une femme apparut dans le champ de ma vision troublée. Elle était escortée par deux nains. L’un d’eux portait sur ses épaules menues une caisse de pommes rouges. Un parfum de discorde effleura mes narines. Un goût de déchéance envahit mon palais. Une envie ardente de rébellion submergea mon esprit. L’acte de la désobéissance originelle était-il sur le point d’être rejoué ? Par moi ? La vierge devenue impure par la faute du sang de mes menstrues ?

Elle me tendit une pomme rouge et susurra dans mon oreille, « Tiens, mange, profite de ta jeunesse. Le temps du sacrifice arrivera lorsque tu auras atteint l’âge de la raison ! »

Le deuxième nain s’engouffra dans mon sexe. Lorsqu’il en ressortit, il avait dans ses mains une fiole remplie de mon sang. La femme s’empara de la bouteille, y rajouta une dose d’eau de pluie, une goutte d’eau de fleur d’oranger, une pincée de cannelle et de poivre noir et versa la potion dans la terre sèche. Ce liquide rosâtre a la réputation de posséder des vertus régénératrices. Il purifie la terre et la rend fertile.

Dans l’imaginaire collectif, le sang des menstrues a une double fonction. Il est à la fois destructeur et régénérateur.

J’avais treize ans.

Par Nadia AGSOUS

Nadia AGSOUS est journaliste et écrivaine. Elle est l’auteure de L’Ombre d’un doute, (Editions Frantz Fanon, décembre 2020) ; Des Hommes et leurs Mondes. Entretiens avec Smaïn Laacher, Sociologue, (Editions. Dalimen, 2014) et Réminiscences, un recueil de textes en prose et en vers agrémenté de mains de Hamsi Boubekeur – artiste – (Editions Marsa, 2012). Elle anime l’émission AlternaCultures sur Alternatv

Auteur

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Directeur de la publication de Trait-d’Union magazine. Membre fondateur, Ex-président et actuel SG du CLEF Club Littéraire de l’Étudiant Francophone de l’université de Chlef. Journaliste et chroniqueur à L’hebdomadaire LE CHÉLIF. Membre du jury étudiant du Prix Goncourt choix de l'Algérie 1ère édition. Enseignant vacataire au département de français UHBC.

Ana Hiya !

Ana Hiya !

Cette mer est la mienne

La mer était toujours la solution !
Dans un paradoxe, de ce qu’est la mer pour nous, les peuples au-delà des mers, elle était toujours la solution !
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Quand tu t’enfuis vers la mer pour une mort désirée, elle te guide vers la mort.

Itinéraires : Mouna JEMAL SIALA

De l’enracinement local au rayonnement continental, l’itinéraire de Mouna Jemal Siala est un modèle du genre : née à Paris, son enfance a connu plusieurs régions et plusieurs cultures, dans le sillage de la profession de son père, haut fonctionnaire, gouverneur et diplomate.

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« Ma langue chérie, je n’ai pu raconter l’histoire que par toi et je n’ai pu reconnaitre les choses que par tes mots ; je ne me suis réjouie avec les sens du parler que par tes dires, je m’aventure comme je veux et jamais je ne suis tombée dans le vide. Je n’ai pu prouver avec exactitude mon idée que par ta richesse et par la force de tes mots. », écrit Farida Sahoui, en s’adressant à sa langue maternelle dans l’un des chapitre de son livre écrit sur le Roi Jugurtha en trois langues (français, arabe, tamazight). A son compte trois livre depuis qu’elle a renoué avec sa plume en 2015. En effet, ses premiers écrits en Tamazight remontent aux années 90, des articles publiés dans le journal « Le Pays » (Tamurt).

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