« POUR TOUT CE QUE TU M’AS APPRIS » De Leila Aslaoui : Le combat au féminin.
L’histoire de Hadja Meriem est, au-delà de la dimension familiale, celle de toutes les Algériennes qui refusèrent de se plier au diktat des mâles et qui prirent leur destin en main en s’exposant à la misogynie et aux idées préconçues. Il est toutefois regrettable que de nos jours, peu de jeunes filles s’en inspirent, préférant ainsi le confort que procure l’assistanat masculin à l’affirmation de soi qui ne peut déboucher que sur le plein épanouissement moral.

Pour tout ce que tu m’as appris » est le titre du roman de Leïla Aslaoui. Un récit qui se veut témoignage d’un combat mené durant de nombreuses années par sa mère, Hadja Meriem que tout prédestinait à être une grande dame à commencer par son prénom qui, contrairement aux autres prénoms féminins, ne se termine pas par un » a « . Leila, la fille, puise dans sa mémoire des souvenirs très lointains du temps où la famille était installée à Laghouat et les relate avec une exactitude de » magistrat » dont le seul souci est de faire triompher la justice en faisant éclater toute la vérité. Elle rend hommage à une mère exceptionnelle que ni le veuvage ni les préjugés n’ont pu détourner de sa quête. Sa détermination resta intacte et son courage inébranlable. Comment ne pas être admiratif de cette résistante qui sut s’imposer dans une société archaïque par son simple sens de responsabilité ? Comment ne pas saluer la ténacité qui la caractérisait et qui en fit une féministe bien avant le féminisme ? Comment ne pas apprendre par cœur toutes les leçons qu’elle prodiguait à ses enfants et dont la profondeur renseigne on ne peut mieux sur l’étendue de son » génie » de mère ayant un sens aigu de l’honneur de même qu’une ouverture d’esprit transcendant sont époque ? Le combat de Hadja Meriem mérite d’être pris comme exemple par tous ceux et celles qui accablent le destin sans oser le forcer, et qui prônent la résignation en la hissant hypocritement au rang de béatitude. Hadja Meriem, elle, forgea elle-même son destin en assumant pleinement son rôle de tutrice de ses propres enfants après la disparition de leur père, et ce, en s’arrachant au clan dont la seule raison d’être était d’empêcher la femme de s’épanouir. Quelle dose de courage fallait-il à cette mère pour qu’elle affrontât » ses » hommes dont son propre père ? Était-ce un combat, une lutte, une détermination ou simplement un droit dont elle était consciente et qu’elle était décidée à exercer sans l’aide de personne ?
L’auteure nous fait découvrir à travers les faits réels qu’elle nous relate une femme bien de chez nous : rigoureuse mais nullement rigoriste, sévère et affectueuse, ouverte et attachée aux valeurs authentiques de sa société ; une femme qui ne badine pas avec les principes mais qui refuse des les emprunter aux autres, une femme qui reste digne dans les épreuves les plus difficiles et qui ne se plaint qu’à son Créateur.
Des qualités qui ne sont plus malheureusement de nos jours et qui ont fait pendant longtemps la gloire de nos aïeules. Faut-il en faire définitivement le deuil ? Ont-elles été emportées, ficelées dans le haïk blanc que les vents d’est et d’ouest ont fini par jeter aux oubliettes ? Apparemment, oui. Notre société marche à contre courant de son Histoire si bien que les cultures les plus étrangères à son essence s’y enracine solidement jusqu’à effacer tous les repères et embrouiller la vue au jeune Algérien.
Le rendez-vous avec la faucheuse
» On est orphelin de sa mère même si l’on a franchi la cinquantaine « , ces propos de Malek Haddad figurant sur la quatrième de couverture illustrent parfaitement le sentiment qu’a dû éprouver l’auteure de » Pour tout ce que tu m’as appris » au moment où il fallait se séparer de celle qui lui donna tout ce dont elle s’enorgueillit aujourd’hui. Finalement, la mort, ça n’arrive pas qu’aux autres. Elle peut frapper à votre porte au moment où vous vous y attendez le moins. Hadja Meriem était bien âgée, mais l’âge, cet argument des médecins maladroits et parfois inhumains, a-t-il le droit de se dresser comme un rempart entre une mère et ses enfants ? Pourquoi être obligé d’assister à la disparition lente mais certaine d’un être cher tout en se sachant incapable de lui apporter la moindre aide ? Il le fallait bien. Car, Hadja Meriem même en quittant ce monde, ne put d’empêcher de donner sa dernière leçon de courage à laquelle devaient assister ceux et celles qui l’ont tant chérie. Les yeux se ferment, et tout un pan de l’Histoire vient d’être plié. Heureusement que l’écriture demeure cet art par lequel on parvient à dire l’indicible et à exprimer par des mots sortis droit du cœur les émotions les plus fortes et les souffrances habilement tues …
Mohand Amokrane AIT DJIDA
Docteur en didactique du français langue étrangère et enseignent au département de langue française à l'Université Hassiba Benbouali de Chlef.