Polynésie française : Chantal T. Spitz ou la réplique autochtone au féminin
Il faut dès le départ de ce présent travail, préciser que le passage à l’écriture des Polynésiens autochtones, s’est fait de manière assez tardive. Cette prise de parole se situe entre les années 1960 et les années 1990. En effet, issus des sociétés de tradition orale, et aussi pour des raisons historiques, sans doute celle de la colonisation, les Polynésiens sont longtemps restés à l’écart de la vie littéraire de leur fenua (terre natale). Bruno Saura désigne cet avènement comme étant « le renouveau culturel polynésien », et le situe entre les années 1970 et 1980 ; – décennies où les Polynésiens autochtones commencent à manifester leur conscience culturelle à travers le moyen de l’écriture. La littérature autochtone contemporaine naît dans une atmosphère sociopolitique, marquée par l’installation du Centre d’Expérimentation du Pacifique (CEP) dans l’archipel des Tuamotu. Déjà frustrés et indignés par le poids du mythe de Tahiti, les Tahitiens se sont décidés à prendre leur responsabilité face à l’avenir de leur pays.

Chantal T. Spitz est née en 1954 à Paofai, à Papeete la capitale de la Polynésie française. Pourtant, c’est à Huahine qu’elle choisit de vivre et s’inspirer. Bien qu’éloignée des tumultes de la capitale de son pays, elle suit de près l’évolution sociopolitique de ce dernier. Autrice de L’île des rêves écrasés (1991), de Hombo, transcription d’une biographie (2002), elle est considérée comme la première romancière autochtone de l’Archipel. Elle est aussi connue pour son engagement politique, qui constitue le vecteur même de son œuvre littéraire. Elle se définit comme une militante « anticolonialiste », et « engagée politiquement ». Pour l’écrivaine, littérature et politique vont de pair. Son positionnement “anticolonialiste” ne fait aucun doute. Sur le terrain comme en écriture, les actions de l’écrivaine visent une seule et même cause : l’indépendance de son pays : « je suis engagée pour l’indépendance de mon pays ; cet engagement englobe tout mon être ; je ne donne pas plus de sens, ou du moins je ne donne pas un sens différent à mon engagement quand j’écris et quand je participe à des marches de protestation, quand j’occupe un bâtiment public, quand je vote. Tous ces actes ont le même sens. Ils ont pour but l’accession à l’indépendance » (Cf – Patrick Sultan, Loxias, 15 juin 2009). Chantal T. Spitz est une femme.
La femme insulaire avec tout ce que cela implique hiérarchiquement dans le contexte de l’entre-deux, traditionnel et colonial. Elle se reconnait parmi ces femmes sujettes à des restrictions des libertés et des violences. Mais au revers de cette image victimaire de la femme insulaire, elle symbolise la réplique autochtone face à l’imaginaire colonial (le mythe de Tahiti). Insoumise, elle ne déteste pas uniquement les mythes caricaturaux, elle déteste l’injustice sous toutes ses formes. Dans ce bout de terre éloigné du reste du monde, Chantal T. Spitz est celle qui, pour la première fois a décidé de briser le silence afin d’exprimer publiquement ses opinions. Autrice également de Pensées insolites (2006)et de Cartes postales (2015) et elle affiche une vision foncièrement négative de l’Europe. Elle insiste sur son désir de voir un jour la Polynésie libérée de la France.
Sur toute la ligne de son écriture fortement poétique, elle combat le colonialisme, ainsi que l’impérialisme dans toutes ses formes lointaines comme actuelles. Elle reconnaît d’ailleurs avoir appris de l’Europe la notion du “Mal” : « L’assurance que le Mal fondamental peut se faire homme.
L’inquisition la Saint Barthélémy les Croisades la colonisation l’esclavage la Shoah le communisme dévoyé le mur de Berlin le racisme ». Chantal Spitz, est l’écrivaine tahitienne qui a le plus clairement expliqué son rapport particulier avec l’Altérité. Rappelons d’abord que l’écrivaine a fortement été influencée par l’œuvre de Henri Hiro qui en appelait à faire renaître la culture mā’ohi, « il y a plus de trente ans Henri Hiro nous exhortait à cet héritage. Avec ses compagnons il nous engageait à nous dire Ma’ohi ».
Au cours d’un entretien réalisé en 2008 avec Patrick Sultan, elle fait savoir son rapport avec la France, et plus précisément avec la langue française. D’une manière générale, Chantal Spitz se positionne non pas comme une « écrivaine polynésienne », mais « tahitienne » qui utilise la langue française à contrecœur, « malgré elle ». C’est également sur ce ton qu’elle définit la Francophonie. C’est pour elle un instrument imposteur qui s’inscrit dans la continuité des politiques de la colonisation. Lors d’un entretien avec Nicolas Cartron, elle définit la « Francophonie » comme « une vaste imposture ; c’est un réseau tramé autour du monde pour manier les peuples qui n’ont rien à voir les uns avec les autres ; ce mot m’énerve ». Dans le même temps, elle se dit également redevable à cette même Europe d’avoir instauré en elle la notion des droits de l’homme, et l’assurance que « tous les êtres humains sont égaux non seulement en droit mais en humanité ». Malgré ces quelques contradictions parfois visibles dans ses « prises de parole », Chantal Spitz est résolument tournée vers la cause de son peuple. Elle entend contribuer à la restauration de l’estime de soi par la déconstruction des stéréotypes qui ont fait tant de mal aux autochtones polynésiens.
Sandrine Joelle Eyang Eyeyong
D’origine gabonaise, Sandrine Joelle Eyang Eyeyong est docteure en littérature générale et comparée diplômée de la Sorbonne Nouvelle-Paris 3. Elle enseigne actuellement à Miami University d’Oxford aux États-Unis où elle réside depuis plusieurs années.
Rédaction