ODYSSEE DE CITE

Vous avez dit Cité ? Qu’est-ce qu’elle a ma cité ?
Pourquoi vous intéressez-vous à elle ? Rien à vous dire et vous, rien à lui proposer !
La cité, radieuse ou pas, se suffit à elle-même. Elle se contente de peu, elle n’a pas le choix. De quoi nourrir les familles qui y vivent et garder les enfants à l’école le plus longtemps possible. Economiser pour les fêtes de naissance et de mariage. Celles qui rendent fiers et nourrissent l’espoir.
Les jours de ciel bleu. La dame de ciment armé grimpe vers la lumière, arrogante, pour y décrocher la lune à tous ceux qui espèrent. Etre riche, juste assez pour acheter une maison de rêve à la Mère, aussi belles que celles qui se glissent à ses pieds, et surtout parfumée de jasmin. Le fils lui a promis depuis si longtemps.
La cité n’oublie rien, sa mémoire garde tout comme une éponge, les tristesses des vieux, l’attente des chômeurs et les rêves des jeunes filles pour un métier qui comblera les mères de fierté. C’est son coffre à bijoux de famille.
La cité, c’est aussi un grand livre avec des milliers d’histoires du père du grand-père, de terre et de mer, d’ici, de là-bas, et avec les parents qui espèrent le retour du fils parti chercher du travail, loin, derrière l’horizon.
Celui qui a promis le retour dès que ses économies le lui permettraient et qui, les bras lourds de cadeaux, viendra présenter ses derniers nés.
La cité chante les musiques de l’attente et des montagnes, pour ne rien oublier du pays qui s’affiche sur les murs du salon à côté du calendrier lunaire ou dans les sons de la gasba de roseau bien en vue sur les étagères. Elle parle les langues des jours meilleurs et parfois des jours de deuil, lorsqu’en urgence l’ancien parti depuis trop longtemps en terre d’exil revient se coucher pour toujours au creux de sa terre rouge dans un doux linceul blanc.
La cité déteste que l’on parle d’elle, car sûr, c’est qu’un malheur est arrivé. Un coup de poing de trop. Un couteau qui s’en est pris à celui qui, trop fier, ne voulait pas baisser les yeux. La loi des gangs et du business qui règlent le chômage. Un incendie de cafetière qui a emporté une famille entière dans son sommeil. Un mari jaloux qui a défénestré sa jolie femme. Dans ce domaine, la cité n’a rien a envié aux quartiers bourgeois, mais ici, le tragique se vend mieux aux infos et dans les réseaux sociaux. Il y aura quelques caméras postées au pied des immeubles, des questions de journalistes en quête d’audimat, des témoignages floutés et des gros plans sur des basquettes, puis plus rien. Un grand silence retombera sur la cité. Retour à l’effacement, mais trop tard, la réputation est faite.
Vivre en cité, c’est partagé les angles morts et vivants des voisins, les détresses et les allégresses, souvent les dettes et surtout la débrouille. Vivre en cité, c’est le respect et l’entraide, t’as pas le choix ! L’humour noir et jaune, genre provoc dernier degré, a élu domicile dans les cages métalliques aux couleurs fades, le soir à la lumière d’un zippo style drapeau algérien. Mais, depuis longtemps, l’épicier du coin ne fait plus crédit. Les temps sont durs. 448 dinars le kilo de poulet. Même les patates ont augmenté. Et je ne parle pas des oranges !
Vous cherchez du travail en ville ? Changez d’adresse. Cité de ?… Circulez, le poste est déjà pris. Malgré vos 21 hivers et votre jean 501, le 8ème étage de votre cité ne vous portera pas bonheur. Restent les grands frères du quartier qui vous donneront des plans pour ne pas mourir idiot de découragement.
Dans ce cas, nommer la cité, c’est parler d’un cancer. On ne sait pas comment on l’a attrapé et on ignore comment on va s’en sortir, on sait juste qu’il faut faire avec.
Bien sûr, dans chaque cage d’escalier où la spirale du désespoir guette, des imaginaires de dernière minute échafaudent des plans de sorties à la courte échelle en retroussant ses manches. Sur les moquettes chlrorophyllisée, il n’y a pas que de la mauvaise herbe qui pousse, mais des talus de capacités cachées. Dans le processus de création à l’ombre des tours en béton, la photosynthèse fabrique des spécimens de talent.
Beaucoup plus tard, quand le temps aura marché sur nos vies. Lorsque les photos vous parleront des absents et que la pluie se mélangera à vos larmes, la cité vous reviendra en flots de rire autour de la table, le jour du couscous et les nuits de thé à la menthe. Elle vous parlera de vos parents qui s’affichent en photos sur le buffet et les chevets des lits.
Même si vous avez quitté la cité, elle, ne vous a jamais quittés. Elle s’est greffée dans votre chair, armature de stent qui garde bien ouverte les artères de vos existences. Car dans vos veines continue de couler mêlées ces particules de béton et de chair.
Photo de Farouk TOUMI
Jacqueline Brenot
Jacqueline Brenot est née à Alger où elle a vécu jusqu’en 1969. Après des études de Droit, de Lettres Modernes et de Philosophie, elle devient Professeur Certifié de Lettres en Lycées, Collèges et Formation Adultes du Greta à Paris et dans la région parisienne. Conceptrice et animatrices d’ateliers d’Écriture et de Théâtre et de projets nombreux autour de la Citoyenneté, Jumelage de villes, Francophonie. Plasticienne avec le groupe Lettriste d’Isidore Isou. Assistante de projets de l’Astrophysicien et Plasticien, feu Jean-Marc Philippe (www.keo.org). Auteure de nouvelles et poèmes inédits, elle a publié « La Dame du Chemin des Crêtes-Alger-Marseille-Tozeur» chez L’Harmattan en 2007,dans la collection « Graveurs de Mémoire ». Participe à des ouvrages collectifs, comme « Une enfance dans la guerre » et « À L’école en Algérie des années 1930 à l’Indépendance » chez les Éditions Bleu Autour. Des nouvelles et de la poésie à la « Revue du Chèvrefeuille étoilée ». Chroniqueuse à l’hebdomadaire Le Chélif depuis février 2018, a publié « Œuvres en partage » Tome I et II, présentés au SILA 2019 à Alger.