Trait-d'Union Magazine

May Ziadé « nābiġat al-šarq » ou le féminisme sans bruit

L’histoire un peu géographique d’une romantique née

May Ziadé est une pionnière du féminisme oriental. Née en 1886 à Nazareth d’un père libanais Elias Ziadé, et d’une mère palestinienne Nazha Mu’âmmer, Marie Ziadé (de son vrai nom) passe son enfance dans sa ville natale avant de s’établir à ‘Aïntoura (au Liban) et de s’installer définitivement au Caire avec sa famille, en 1908. Elle entame alors des études de langues et littératures étrangères à l’Université égyptienne. M. Ziadé commence à écrire à l’âge de seize ans et collabore, d’abord, au journal et à la maison d’édition féministes Al-Maḥroussa (La Protégée) dirigés par son père. Ensuite, elle écrit et publie dans plusieurs journaux et périodiques tels que Al-AhrāmEl-Muqtaṭaf. Sa passion pour les langues l’emmène à traduire, vers l’arabe, plusieurs ouvrages dont le Retour du flot d’Henrietta Consuela Sansom, Amour allemand de Max Müller ou encore Sweethearts de Conan Doyle.

Fleurs de rêve est son premier recueil de poésie paru en 1910 sous le pseudonyme d’Isis Copia. Elle le dédie à Lamartine, de la part « d’un jeune cœur qui l’aime ». Imprégné d’une sensibilité vive et d’une fantaisie novatrice, ce texte fait date. D’autant plus que le mystère autour de l’identité de son auteur fait couler beaucoup d’encre et intrigue le milieu littéraire de l’époque. Outre l’avant-gardisme de ses idées, M. Ziadé se démarque par la finesse de son style d’écriture et sa plume percutante. Elle est non seulement l’une des figures majeures du nouveau genre de « ši’r manthūr » (la prose poétique) mais aussi l’une des premières femmes critiques d’art et de littérature à qui l’on attribue une liste à rallonge de surnoms élogieux comme « farāšat el-adab »(Papillon de la littérature) ou encore « nābiġat al-šarq » (Génie de l’Orient).

En deçà et au-delà des noms de plume : l’hermaphrodisme mental

Il est fondamental de rappeler que la voix de M. Ziadé émerge dans un milieu socio-historique qui ne veut pas d’elle ; un contexte où les interdits d’écrire pèsent lourd, surtout quand on est une femme. Elle décide, dès lors, de faire appel à des pseudonymes masculins. Carmen Boustani souligne l’importance de « l’hermaphrodisme mental » chez la femme arabe au XXe siècle. Une stratégie qui vise à contourner le silence imposé par l’ordre patriarcal pour se faire entendre et acquérir un peu plus de visibilité.

Si certains de ses articles sont signés « Khaled Ra’fat » ou « Sindabād », pour d’autres écrits M. Ziadé choisit des noms de plume féminins comme « ‘Aïda », « May » qui va se substituer à Marie -son vrai prénom – et enfin « Isis Copia » dont la charge symbolique est bien particulière. En effet, Isis est une déesse mythique de l’Égypte antique, souvent représentée comme une jeune femme coiffée d’un trône en forme de disque solaire entre deux cornes de vache. Isis a le pouvoir de ressusciter les morts par son souffle. Elle incarne aussi l’initiatrice qui détient les énigmes de la vie et de la mort. « Copia » serait la traduction latine de son nom de famille Ziayāda qui veut dire « abondance » en arabe. Par ailleurs, la « corne d’abondance » ou cornu copia est l’attribut de la déesse romaine Copia, divinité de l’abondance.

Dans le jargon métallurgique des alchimistes au Moyen Âge, l’expression cornu copia désigne l’un des outils de la transmutation du métal ou de l’esprit. Selon Nicole Saliba Chalhoub, le choix d’Isis Copia comme pseudonyme place de facto la poétesse comme une initiatrice du changement.

Certes, l’entrée de M. Ziadé dans le monde littéraire cairote se fait dans la discrétion, mais sa plume d’écrivaine engagée sera une arme infaillible dans son combat pour l’émancipation des femmes.

“ Chez Mademoiselle May” : la salonnière (presque) visible

En 1911, M. Ziadé fonde un salon littéraire dans la maison de ses parents au Caire. Elle y réunit de façon hebdomadaire des personnalités du monde artistique, littéraire et politique cairote à l’instar d’Antoine Jmayel, Khalil Moutrān, Abbas Maḥmoud Al-Aqqād, Taha Hussein, Ahmed Shawqi et bien d’autres. La salonnière et ses convives analysent l’actualité du pays, décortiquent et commentent les articles de presse et lisent des textes en plusieurs langues. C’est May qui définit les sujets à aborder et en brillante oratrice, elle prend en charge l’animation des rencontres. S’inspirant de la tradition des salons littéraires français, May la salonnière ouvre la voie d’un espace de débat démocratique où elle œuvre pour l’égalité au sein d’un public composé de femmes et de hommes. C’est ainsi que « Al-ānissa May » (Mademoiselle May) devient la Wallāda bint Al-Mustakfī des temps modernes.

Féministement vôtre (mais discrètement) !

May Ziadé joue un rôle fondamental dans la renaissance féminine du début du XXe siècle en Égypte. En effet, elle contribue à libérer la parole féminine grâce à l’espace démocratique de son salon. Ses écrits sont considérés comme la pierre angulaire de l’engagement féministe dans le monde arabe. Elle milite aux côtés de Qāsim Amīn et de la suffragette Huda Sha’rāwī (1879-1947) et s’intéresse de très près à la question du voile et de l’ouverture de l’Orient à l’Occident. En 1921, lors d’une conférence intitulée « Le but de la vie », M. Ziadé appelle les femmes à revendiquer leurs droits, avec une attention particulière accordée à la liberté. « L’homme tel que je l’imagine », son article paru dans Al-Muqtataf, en février 1926, suscite un tollé car pour la première fois, à l’époque, une femme franchit le pas et dénonce fermement le patriarcat et l’oppression que subissent les femmes.

Pour M. Ziadé, une jeune fille n’est pas condamnée à vivre dans l’ignorance ; elle a le droit à l’instruction −qui n’est ni un luxe réservé aux garçons ni une menace qui risquerait de retarder le mariage ou d’entacher la féminité− afin de s’affranchir du poids des traditions et des clichés qu’elle traîne avec elle.  De plus, l’homme n’a pas à lui imposer quoi que ce soit, et encore moins le choix de sa robe ou sa coupe de cheveux. Dans ce même article, M. Ziadé met l’accent sur le droit de la femme à l’expression de ses goûts en ce qui concerne l’homme, ses habits, ses manières.
C’est à May Ziadé que l’on doit les biographies de deux figures majeures du féminisme arabe. Elle publie Bāḥithat al-Bādiyah (La chercheuse de la campagne, 1920) sur la vie et l’œuvre de Malak Hifnī Nasīf (1886-1918), première femme enseignante en Égypte. Six ans après, elle consacre un autre ouvrage, intitulé ‘Āïcha Taymour, sha’iratou etali’â (Aicha Taymour, la poète des élites, 1926)à la féministe ‘Aïcha Taymour (1840-1902) : femme de lettres dont les poèmes, essais, et romans marquent l’émergence d’une sensibilité féministe. Dans ces deux textes, M. Ziadé développe une réflexion documentée et très approfondie sur la condition de la femme défavorisée durant toute les étapes de sa vie, et même avant sa naissance (l’idée d’avoir un garçon réjouit mais pas celle d’avoir une fille par exemple). M. Ziadé déconstruit le schéma classique où l’homme peut tout se permettre parce qu’il est homme alors que la femme est réduite à son seul et unique rôle de future épouse. La féministe engagée qu’est M. Ziadé invite la femme à sortir de chez elle, à s’instruire pour pouvoir se frayer une place dans l’espace public et s’y imposer comme essentielle. Son approche consiste à confronter les deux univers féminin et masculin pour dégager les inégalités et si possible, y remédier.

Par Nessrine Naccach

Doctorante en littérature comparée à l’Université Sorbonne Nouvelle, bénéficiaire d’une bourse d’Excellence pour Master et Doctorat et associée au Centre d’études et de recherches comparatistes (CERC, EA 172) Nessrine Naccach mène une thèse sur les représentations et usages contemporains de Shéhérazade dans la littérature et les arts.

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