Littérature, maternité, création et procréation
Malika Madi, pose d’emblée dans cet essai la question qui l’obsède : Comment réussir à être à la fois mère et écrivaine ?
« Quand j’étais enfant, j’avais deux rêves : devenir maman de famille nombreuse et écrivain. Pour moi, l’un ne pouvait aller sans l’autre. J’ai donc composé avec ces deux passions même si parfois l’une prenait le pas sur l’autre. Mais j’avoue aussi que l’une a nourrit n’autre. Elever un enfant et écrire un livre demande un don de soi total et j’aime me donner totalement. C’est là où je me sens vivante, dans le don de moi total et absolu, même si cela m’a souvent joué des tours mais je refuse de changer. Je suis ainsi faite. »

Née en 1967, vivant à Bruxelles dans une famille d’origine algérienne. Tiraillée dès l’enfance par ce qui peut apparaître comme une contradiction, elle poursuit des études de gestion, puis se marie très jeune et élève son premier enfant. « Je me suis mariée jeune, 20 ans, et la maternité est venue assez vite. Je n’ai réellement décidé de publier que lorsque mes deux fils sont entrés à l’école maternelle, nous étions en 1997. Une amie a lu mon manuscrit et l’a confié à un éditeur qui a adoré l’histoire et le destin a fait le reste ». Elle publie en 2000 son premier roman, « Nuit d’encre pour Farah, récompensé par le Prix de la Première œuvre de la Communauté française de Belgique et nommé pour le Prix des Lycéens (Belgique) en 2003. En 2007, elle écrit son second roman : Les Silences de Médéa (Labor, 2007, Luc Pire 2006) En 2008, elle publie avec Hassan Bousetta un essai qui aborde la problématique du racisme et des préjugés : Je ne suis pas raciste mais …A côté de ses romans, elle dirige des ateliers d’écriture et donne des conférences ; En 2017 , elle publie l’ essai: Littérature et maternité , création et procréation,qui expose la difficulté de concilier les deux,
Un livre se conçoit, comme un enfant. Ils sont tous les deux le fruit d’une rencontre, celle du désir et d’une idée. Si la comparaison dérange certains, c’est parce qu’ils ne mesurent pas la puissance du processus de création.
Quelle est la part de soi et celle de l’autre chez son enfant ? Quelle est la part de soi et celle du reste du monde dans sa création littéraire ? Le manuscrit publié échappe à son auteur. Le foetus devenu nouveau-né ne dépend plus de sa mère pour respirer.Elle a pu compter sur le soutien de son mari. Le père de mes enfants, mon ex-mari aujourd’hui, a toujours respecté mes moments d’écriture et ma famille, parents, frères… ont énormément d’admiration pour l’acte d’écriture. Quand on est maman de jeunes enfants, les journées doivent impérativement être très organisées donc j’écrivais à heure régulière, le matin souvent après le départ pour l’école. J’ai fait en sorte que l’écriture ne puisse s’inviter qu’en leur absence ou après m’être occupé d’eux. Ceci dit, peut-être l’ont-ils quand même ressenti mais à ce jour, je n’ai encore essuyé aucun reproche de leur part. Je vis seule aujourd’hui mais si je devais vivre à nouveau avec un homme je crois qu’il serait conscient de la place que prend l’écriture dans ma vie. On écrit pour soi mais on enfante pour les autres (pour l’enfant lui-même et la société ensuite) . Aussi lorsque les enfants quittent le nid on réalise le vide laissé et le chemin parallèle que l’on aurait pu emprunter. Quand les enfants sont petits et qu’ils demandent une attention constante on ne mesure pas le caractère éphémère de ces instants-là tant ils nous acculent et nous débordent. C’est ensuite que l’on se dit : « Et dire que j’aurais pu écrire, chanter, peindre ou jouer la comédie. Celles qui se sont sacrifiées pour eux peuvent ressentir une certaine frustration. Celles qui ont renoncé à enfanter ont posé ce choix de manière réfléchie et absolue donc elles vivent avec cela de la manière la plus sereine possible. Elles mesurent la décision qui fut la leur et vivent très bien avec cela.
Malika a pu compter également sur l’appui de son père : Mon père, décédé en 2014, était un homme formidable. Il était fier et très aimant. Il est mort dans mes bras, il m’a fait cadeau de sa mort et c’est là, la plus belle chose que j’ai pu vivre dans ma vie même si au moment même je me suis effondrée. Accompagner un être cher jusqu’à son dernier souffle est une chose à la fois belle et terrible.
Paradoxalement, les mères et les filles ont toujours plus de difficultés, semble-t-il à comprendre :
Je crois qu’il est rare que les filles de mères artistes comprennent ce pan de la personnalité de leur mère. Même si elles-mêmes le deviennent par la suite (artiste et mère). Cela les renvoie à une zone obscure dont elles refusent la mise en lumière, comme une intrusion dans l’intimité de celle qui pour elles ne doit être que mère et rien d’autre. Intervient aussi la perception « suis-je, en tant que fille, à la hauteur de cette mère sollicitée, reconnue, encensée ?».
Malika lit et relit ce que d’autres écrivaines écrivent à propos de la maternité, mais ne se cantonne pas uniquement aux femmes célèbres : Toutes les femmes m’inspirent ! C’est un rôle tellement difficile à tenir. Bien sûr, nous sommes mieux de ce côté du monde que dans un camp syrien en Jordanie ou dans un village malien mais le quotidien d’une femme qui doit être tout à la fois sous peine d’être taxée de faillible, suscite en moi une grande compassion et un sentiment très fort de sororité. Elle s’intéresse aussi aux relations trans-générationnelles et prévoit d’en faire le thème de son prochain roman : « Cette histoire commence en Kabylie en 1870, une jeune fille accouche d’un bébé puis elle est assassinée par son père car le père de l’enfant est un soldat français. Je raconte le traumatisme qui, tel une patate chaude, se transmet de génération en génération, jusqu’à nos jours où la dernière héritière en date décide d’en finir avec ce secret de famille qu’elle se refuse à transmettre elle aussi à sa fille. Paradoxalement, maintenant que mes enfants sont adultes et indépendants je me sens moins encline à la fiction. Peut-être y reviendrais-je et je crois que j’y reviendrai. Je vis une période de ma vie où il me manque « ce truc » que j’avais il y a 25 ans pour me fondre dans l’imaginaire pur et la création romanesque. Je pense que nous traversons des phases dans la vie et la mienne est celle-là aujourd’hui. »
Malika Madi démystifie les mythes rétrogrades et les clichés qui enferment les femmes dans un rôle trop réducteur : Entre écrire et mettre au monde, nous faut-il nécessairement choisir ?
– Devenir « femme-oiseau », une petite fille obéissante, reproduisant à l’identique les valeurs transmises par la mère : séduire le mâle qui nous rendra mère, une femme parfaite susceptible de rivaliser avec la belle-mère ?
– Renoncer à la maternité pour se consacrer à l’écriture ?
– Revendiquer l’image de la Muse, dévouée à son Pygmalion ?
Malika Madi incite les femmes à ne pas se laisser piéger dans ce dilemme insupportable.
Cette « femme – soeur » a poussé la réflexion si loin que toute lectrice trouvera le courage de ne renoncer ni à l’un, ni à l’autre, en refusant de s’enfermer dans un choix sacrificiel.
Bibliographie
Nuit d’encre pour Farah, Éditions du Cerisier, Cuesmes, 2000, (ISBN 2-87267-043-2)
Belges sans en avoir l’air, Éditions Mémor, Bruxelles, 2003
Les Silences de Médéa, Éditions Labor, Charleroi, 2003, 224 p. (ISBN 2-80401-821-0)
Amour, j’écris ton nom, 23 auteurs belges colorient leur plume, collectif, Éditions Couleur livres, Charleroi, 2006, (ISBN 2-84187-337-4)
Le jeu de la plume et du hasard, Éditions Memor (coll. Couleurs), Bruxelles, 2007
Et le monde regarde, Liban été 2006, Éditions du Cerisier, Cuesmes, 2007 (en collaboration avec Hassan Bousetta).
Je ne suis pas raciste, mais…, Éditions Luc Pire, Bruxelles, 2008, Réédition: Éditions M.E.O. Bruxelles, 2012.
Chamsa, fille du soleil, éditions du Cygne, Paris, 2010.
Artistes, éditions du Cygne, Paris, 2011.
Sucre, venin et fleur d’oranger (Théâtre) 2013-2014
Maternité et Littérature, création et procréation, (essai) Éditions du Cygne, Paris, 2017.
Par Catherine Belkhodja
Actrice, auteure, script doctor, scénariste, journaliste et productrice. Franco-algérienne, elle étudie le théâtre et les Beaux-arts à Alger, avant d’étudier la philosophie, l’ethnologie et l’architecture à Paris. Elle quitte l’Education Nationale pour travailler à la télévision et au cinéma, adapte et présente en Algérie: « Splendides exilées » d’ Arezki Metref, expose en galeries, écrit et met en scène «Heureux comme un roi» et «Escalade clandestine» à Paris.
Rédaction