Littérature au cœur : entre suavité de grains de raisin, force intranquille et haute fréquence des rayons gamma
S’interroger sur la sphère littéraire, son discours aux genres multiples et son rôle dans la transmission du patrimoine, c’est considérer d’abord l’accès à ses formes d’expression. A ce titre, il fut, il est, un temps où l’approche de la littérature reste un privilège social. L’imprimerie et la diffusion du livre de poche ont contribué à changer la donne. Pour les éditeurs et certains géants du commerce en ligne, sans doute. Pour nombre d’individus en ressacs de crises économiques, surpopulation et gestion obligent, le choix entre nourriture et livre ne se pose pas. Concernant l’interaction actuelle des médias en faveur du fait littéraire, il arrive ici ou là qu’entre deux chroniques d’une catastrophe annoncée, des émissions vantent les mérites de la Littérature avec quelques écrivains triés sur le volet. Du moins, y voit-on réunis des auteurs inspirés ou engoncés dans leurs argumentaires aux allures de démonstrations professorales. La parole y est distribuée suivant un tempo mi-largo, mi-allegro. Impératifs d’audimat, les états d’âme de l’auteur étant plus propices au « buzz » que la singularité de son écriture. Innovation câblée pour heure de grande écoute : on rivalise dans la lecture à voix haute d’adolescents motivés. Cette exception faite, dans l’enfer technologique pavé de mercantiles intentions, la littérature est loin d’avoir tiré les cartes idoines pour rivaliser avec les écrans tactiles et leurs visions prospectives. Pour les jeunes générations, à l’exception des programmes scolaires imposés, est-il encore nécessaire de lire des œuvres, la littérature étant souvent considérée comme optionnelle, de surcroît soumise à une dématérialisation programmée ? Et qui lira ici, entre deux sessions digitales sur iPhone, ces professions de foi sur les principes fédérateurs des Belles-lettres vis-à-vis de la Culture ambiante, si ce ne sont des convaincus de la première heure et lecteurs aguerris ? D’après l’adage : la forme préside au sens, l’omniprésence des outils technologiques prédispose-t-elle dans cette activité artistique millénaire à une saturation des connaissances, du même coup à une inappétence culturelle généralisée ? Même si, d’après les derniers sondages, le marché du Livre et son industrie culturelle « se portent bien », par exemple en France.

S’interroger sur la sphère littéraire, son discours aux genres multiples et son rôle dans la transmission du patrimoine, c’est considérer d’abord l’accès à ses formes d’expression. A ce titre, il fut, il est, un temps où l’approche de la littérature reste un privilège social. L’imprimerie et la diffusion du livre de poche ont contribué à changer la donne. Pour les éditeurs et certains géants du commerce en ligne, sans doute. Pour nombre d’individus en ressacs de crises économiques, surpopulation et gestion obligent, le choix entre nourriture et livre ne se pose pas. Concernant l’interaction actuelle des médias en faveur du fait littéraire, il arrive ici ou là qu’entre deux chroniques d’une catastrophe annoncée, des émissions vantent les mérites de la Littérature avec quelques écrivains triés sur le volet. Du moins, y voit-on réunis des auteurs inspirés ou engoncés dans leurs argumentaires aux allures de démonstrations professorales. La parole y est distribuée suivant un tempo mi-largo, mi-allegro. Impératifs d’audimat, les états d’âme de l’auteur étant plus propices au « buzz » que la singularité de son écriture. Innovation câblée pour heure de grande écoute : on rivalise dans la lecture à voix haute d’adolescents motivés. Cette exception faite, dans l’enfer technologique pavé de mercantiles intentions, la littérature est loin d’avoir tiré les cartes idoines pour rivaliser avec les écrans tactiles et leurs visions prospectives. Pour les jeunes générations, à l’exception des programmes scolaires imposés, est-il encore nécessaire de lire des œuvres, la littérature étant souvent considérée comme optionnelle, de surcroît soumise à une dématérialisation programmée ? Et qui lira ici, entre deux sessions digitales sur iPhone, ces professions de foi sur les principes fédérateurs des Belles-lettres vis-à-vis de la Culture ambiante, si ce ne sont des convaincus de la première heure et lecteurs aguerris ? D’après l’adage : la forme préside au sens, l’omniprésence des outils technologiques prédispose-t-elle dans cette activité artistique millénaire à une saturation des connaissances, du même coup à une inappétence culturelle généralisée ? Même si, d’après les derniers sondages, le marché du Livre et son industrie culturelle « se portent bien », par exemple en France.
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À toute cause presque perdue, tout honneur. Dans ce champ ouvert de la littérature actuelle, l’aubaine d’un tel sujet sera de ramener la couverture, litote de circonstance, à quelques réflexions sur la réception de la création littéraire.
En dépit de ce siècle tout aussi barbare que les précédents, que serions-nous sans la voix des poètes ? Comment résisteront nos consciences sans les auteurs qui ont marqué de leur sceau les insatiables de poésie ?… « O temps ! Suspends ton vol… » (Lamartine), « L’Éternité. C’est la mer allée. Avec le soleil » (Rimbaud), « C’est le temps que tu as perdu pour ta rose, qui fait ta rose si importante » (St Exupéry), « J’ai la nostalgie du café de ma mère, du pain de ma mère, des caresses de ma mère… Et l’enfance grandit en moi, jour après jour… » (Mahmoud Darwiche), « J’invoque à l’orée de toutes les plaies – le soleil bafoué – déchiqueté dans une odeur de vague… » Et aussi, «Je sais l’oiseau, rire embusquer – au cœur de chaque saule qui tremble… » (Tahar Djaout). Et tant de précieux univers poétiques à découvrir. Qui se souvient de ces paroles transparentes de vie, sans fioritures, goûteuses comme des fruits mûrs ? C’est aussi cela la littérature, des mots croquants et juteux comme des grains de raisin gonflés de soleil, si doux en bouche qu’il est déplacé de les énoncer dans le brouhaha quotidien. Dernière pudeur juvénile entre celui qui les formule à l’envie et celui qui s’arrête pour les écouter. Et si la littérature se partageait à nouveau le plus naturellement du monde, comme la poésie chantée à la lyre dans les arènes et les amphithéâtres pleins à craquer de toutes les attentes. N’est-ce pas là un vecteur de choix pour transmettre le patrimoine culturel au sein des sociétés cabossées, une légitimation d’un monde meilleur ? Sans disserter sur les nouvelles postures adoptées dans les choix romanesques et fictionnels, les dynamiques de déconstruction de la trame, ou par exemple, la place des femmes dans le champ littéraire et son incidence sur les idées abordées, avec des sujets tabous qui interrogent plus qu’ils ne répondent, autant de réflexions qui scrutent ce monde baroque et son actualité féroce, l’expression littéraire demeure la résultante de la générosité ou/et de l’ambition d’individus qui tentent de saisir des parcelles du mystère qui nous entoure depuis la Création et de les partager. La littérature, même la plus rationalisée est souvent catharsis, prétexte à réflexions sur les impasses de l’existence, sur les tensions d’une époque, démonstration d’une gestation qui trouve aussi ses limites dans les mots et leurs agencements. Comme l’écrivait dans son manifeste en faveur « d’une littérature-monde », le Prix Nobel de Littérature 2008, JMG Le Clézio, réflexion valable pour la langue française en l’occurrence et pour les autres langues, la littérature devrait se « libérer de son pacte exclusif avec la nation ». Depuis toujours, le roman a témoigné de résistance à tout ce qui prétend le nier ou l’asservir. Les contes anciens et universels, n’avaient-ils pas déjà tout révélé sur les problématiques existentielles et les cris sourds des poètes maudits acculés au gibet aussi ?
« Ce qui pousse à écrire, c’est l’émotion qui vous procure les objets du monde, les choses du monde extérieur… c’est ça qui crée la pulsion » disait le poète Francis Ponge en insistant sur l’inclination de l’écrivain. C’est peut-être là, dans l’acuité de cette perception que le lecteur se reconnaît, même si la frontière invisible, le mur de verre, demeure, entre l’objet narratif produit, élimé parfois jusqu’à l’os, et la réalité brute. L’énergie haute fréquence de la littérature, dans son rapport au monde, vaut certains rayonnements électromagnétiques par la force des émotions et interrogations suscitées.
Or, les mots les plus justes peuvent-ils influer sur le sort de l’individu et du groupe cernés par le chômage, les menaces sanitaires et les conflits généralisés ? Ou au contraire, la littérature n’incarne-t-elle pas l’ultime valeur refuge, juste avant l’angoisse nocturne ?
En fait, compte-tenu des mutations accélérées et des processus d’adaptation des systèmes sociaux, ce sujet trublion à l’ordre du jour, pourrait se diversifier en : « la Littérature au troisième millénaire – sa survie ? ». En effet, quel rôle peut encore jouer la littérature dans un monde souvent inique, à l’obsolescence programmée et à l’imminence d’un réchauffement climatique mortifère ? Doit-on revendiquer une idéalité universelle et une esthétique nouvelle génération de cet Art de la mise en bouche des mots, du plus agressif et plus répulsif, au plus troublant et plus suave ? N’est-il pas nécessaire et urgent de renouer avec ce domaine artistique, consubstantiel à la pensée et à l’unité de référence la Culture, salvatrice d’un monde en perte de repères, mais soumise aussi aux taux de rentabilité ? Comme l’écrivait George Orwell soucieux de la liberté et de la justice sociale contre toute forme d’impérialisme et de totalitarisme au sujet de la mort de la littérature : « l’imagination, tout comme certains animaux sauvages, n’est pas féconde en captivité ».
Hybrider sa pensée de voix littéraires plurielles, pour faire face au formatage, à l’imprévu et aux menaces de chaos du monde, n’est-ce pas un recours pour entendre chanter le vent et observer « les merveilleux nuages » ? La littérature éponge les malheurs et l’exil de l’Homme terrassé par son prochain. Depuis que certaines tours ont été pulvérisées, le monde occidental s’est remis a tremblé devant l’imminence d’un conflit mondial. Et cette peur universalisée entre alpha et oméga des blocs économico-politiques, renforcée par les effets récents du virus dont « ils ne mouraient pas tous, mais tous étaient frappés », a sans doute rendu l’expression littéraire plus prolifique, mordante et pamphlétaire que jamais. Les sujets médiatisés inspirent. L’intime meurtri occupe le devant de la scène romanesque. Entre autres thèmes porteurs, les violences façon Mouvement « MeToo », où chacune dissèque d’une plume acérée les scandales exhumés des dessous de tapis de la gloire, du cinéma et du stade. Une pétaudière parmi d’autres, en écho aux tribunes actuelles, même si ce phénomène n’est que la partie visible de l’iceberg de la violence systémique. Le chant du cygne des civilisations a pris des airs de symphonie terrifiante. Toujours l’Art et la manière de convoquer les catastrophes non anticipées pour en dissimuler d’autres tout aussi dévastatrices. Et puis, difficile de reconnaître l’irréversibilité des mutations de la pensée. Dans ce concert dysphonique, la littérature fait son feu de tout bois, c’est sa matière première. Victimes collatérales, les bibliothèques sont les premières visées par des autodafés historiques. Rançon barbare de leur renommée.
Par ailleurs, juste pour rappel, sur le pouvoir de la « littérature » engagée d’une époque, d’un lieu, plutôt idéologie à variante autoritaire, les ouvrages manifestes comme ceux de Marx, plus nuancé du Che avec ses « Carnets de voyage » ou plus marqué, du milliard d’exemplaires du livre de Mao, qui ont théorisé une pensée en programme, certaines révolutions culturelles du 20e siècle ont commencé par des livres. Depuis toujours, l’art de la rhétorique propre à la littérature séduit les foules privées de pain et de justice. Le livre atteste de pouvoirs plus offensifs que les armes. Indépendamment de ces exemples extrêmes, la littérature garde son rôle de terreau d’une pensée universaliste, visionnaire, porte-voix des quêtes individuelles et collectives, souvent fruit d’observations sur le devenir de la société face aux nouveaux mythes et à une surcharge de repères. Loin d’être le fleuron d’une élite ou d’un colonialisme de la pensée, la langue indocile a même gagné son droit de cité, au sens premier du terme, née souvent dans les ghettos, en ajoutant verve rude, parole slamée et phrasé rap, poésie rythmée et rimée des causes négligées, perdues, mais séditieuses.
Et puis dans ce témoignage abrégé sur les liens fondateurs avec les Belles-lettres, on aimerait relire les écrits criants et défiants de vérités, comme ceux de Kateb Yacine, Mohammed Dib, Mouloud Feraoun, Frantz Fanon, et tant d’autres. Leur talent, allié à leur pugnacité, les a hissés au Panthéon des œuvres référentielles.
Et la littérature mue de toutes les identités, militante de la langue bien pendue, ne cesse de résister dans son élégance d’énoncés qui résonnent à l’unisson de certaines attentes. Ces alliances de mots brochés peuvent se glisser dans une poche trouée et sous les interstices d’un pénitencier. Cette grâce de génie ne rampe pas, elle glisse et nous embarque plus loin, toujours plus haut, en quête de Beauté, dernier chaînon faible dans l’expression de notre humanité.
Alors, pour mieux accéder à la vénusté des espaces infinis de cet art éclectique, lisez peu, lisez à profusion, mais lisez passionnément !
Jacqueline Brenot
Jacqueline Brenot est née à Alger où elle a vécu jusqu’en 1969. Après des études de Droit, de Lettres Modernes et de Philosophie, elle devient Professeur Certifié de Lettres en Lycées, Collèges et Formation Adultes du Greta à Paris et dans la région parisienne. Conceptrice et animatrices d’ateliers d’Écriture et de Théâtre et de projets nombreux autour de la Citoyenneté, Jumelage de villes, Francophonie. Plasticienne avec le groupe Lettriste d’Isidore Isou. Assistante de projets de l’Astrophysicien et Plasticien, feu Jean-Marc Philippe (www.keo.org). Auteure de nouvelles et poèmes inédits, elle a publié « La Dame du Chemin des Crêtes-Alger-Marseille-Tozeur» chez L’Harmattan en 2007,dans la collection « Graveurs de Mémoire ». Participe à des ouvrages collectifs, comme « Une enfance dans la guerre » et « À L’école en Algérie des années 1930 à l’Indépendance » chez les Éditions Bleu Autour. Des nouvelles et de la poésie à la « Revue du Chèvrefeuille étoilée ». Chroniqueuse à l’hebdomadaire Le Chélif depuis février 2018, a publié « Œuvres en partage » Tome I et II, présentés au SILA 2019 à Alger.