Les œuvres de Max Aub ne sont pas encore traduites en arabe.
Bien qu’il soit admis que tout acte humain est politique, les actes politiques, cependant, même lorsqu’ils sont transparents et sincères, n’expliquent pas à eux seuls, les méandres si complexes de la pensée humaine. Il leur manquera toujours ce regard profond porté sur la société elle-même, sur la praxis sociale, à travers le prisme de la littérature.

Qu’il s’agisse de la littérature locale ou celle de l’exil, elle reste le moyen didactique le plus expressif qui favorise le contact historique d’avec les différentes sociétés humaines. Quels qu’en soient le lieu et l’époque. Mais, en Algérie, pays ou la personne semble avoir la primauté sur la société, les choses seraient perçues autrement. Notamment quand on passe à coté d’un fait littéraire ou artistique, évitant ainsi de le valoriser en tant qu’événement historique. Qu’importe la manière soit, par la consécration d’une œuvre ou par un hommage rendu à son auteur. Fut-il un étranger que le hasard de l’histoire lui a fait fouler le sol algérien. Les exemples sont nombreux. On peut citer ainsi le peintre français Alphonse-Etienne Dinet qui a vécu à Boussaada. Ibn Khaldoun à Sougueur. Ou encore l’écrivaine suisse d’origine russe, Isabelle Eberhardt à Ain Sefra. Et bien d’autres encore. Le fait de revendiquer un écrivain, un artiste ou un homme de science n’a d’équivalent, en principe, que le sentiment de fierté.
L’Algérie a eu la chance d’abriter un autre monument des lettres, en l’occurrence Max Aub, un écrivain et poète espagnol. Mais son violon d’Ingres était surtout la poésie. Il est né à Paris le 2 juin 1903. Son père est un allemand de la Bavière. Sa mère est française. Tous deux sont juifs non pratiquants. Max Aub a eu une enfance heureuse : collège Rollin, séjours à la campagne, voyages en Allemagne etc. Lorsqu’éclata la Première Guerre mondiale, son père, qui était en déplacement en Espagne, ne put revenir ; la famille le rejoint à Valence en 1914. En janvier 1939, Max Aub s’installe à Paris avec sa famille, mais comme il figure sur le fichier de la police comme communiste sur la base d’une dénonciation calomnieuse, il va connaître, trois années durant, une traque sans merci : prison, séquestration de biens, camp du Vernet en France puis camp de Djelfa.
Cet illustre poète est aussi un écrivain au style baroque. Ses œuvres, accablantes pour la France coloniale, se singularisent par une touche assez prononcée qui contrarie de fort belle manière la thèse de certains parlementaires français se couvrant aujourd’hui d’oripeaux civilisateurs, tendant à glorifier la colonisation.
Le camp de Aïn S’rar à Djelfa, où il sera détenu de 1941 à 1942, lui servit de pupitre duquel il pouvait voir les pires exactions dont sont victimes ses compatriotes et aussi des Algériens. Il vécut les affres de la déportation coloniale dans une réclusion extrême, subissant d’innommables sévices dans ce camp dit d’internement administratif mais, dont les conditions pénitentiaires relevaient du pur régime concentrationnaire. Au grand dam des défenseurs de l’humanisme français.
Au milieu des années trente, l’engagement de Max Aub l’amènera à réaliser une immense œuvre sur la guerre civile qu’avait connue son pays d’adoption, l’Espagne. Une guerre dont il fera la description dans « El laberinto màgico » (Le labyrinthe magique). Une trilogie composée de trois parties : « Le champ clos », « Le champ sanglant » et « Le champ ouvert. »
Il plaidera aussi et admirablement la cause algérienne transcendant le niveau du témoignage anecdotique, dans un récit qu’il intitula « El cementerio de Djelfa », (Le cimetière de Djelfa). Dans ce recueil, il loue la vertu des Algériens que la France voyait comme des gueux. Mais des gueux qui n’hésitaient pas à offrir le peu qu’ils possédaient, même, vivant cruellement une double humiliation. L’une, du fait des conditions carcérales, l’autre infligée par le dénuement total. Un constat qui l’amènera encore à compiler quarante-huit poèmes dans le recueil » Diario de Djelfa » (Journal de Djelfa) ou, à la douleur et l’arbitraire, répondent, l’irritation et la rébellion. En somme, des poèmes de la honte pour l’occupant.
Et pour toute reconnaissance d’avoir porté le cri de douleur des algériens, qui surgit du fond de ce camp de détention, vers le temple universel des lettres, les œuvres de Max Aub ne sont toujours pas traduites en arabe, et reste lui-même à ce jour, méconnu du grand public algérien. Au motif, disent certains, que dans ses écrits, l’on note, primo, beaucoup d’engagement politique, deuxio, c’est l’Espagne surtout qui y occupe une place privilégiée ! Une façon qui sous-estime le lecteur algérien qui, pourtant, par essence, est historique en plus de posséder de bonnes aptitudes à distinguer l’anthologique du politique dans une œuvre littéraire. Ainsi, en Algérie, même la littérature est suspectée de dimension politique. En 1942, Max Aub parvient à gagner le Mexique sur un bateau à destination de Vera Cruz, grâce au consul général du Mexique qui parvient à l’extraire du camp de Djelfa, après avoir été contacté par Simon weil, philosophe française (à ne pas confondre avec Simon veil la femme politique). Il s’installe au Mexique, où il va vivre jusqu’en 1972 en écrivant des scénarios, afin, croyait-il, que l’opinion internationale puisse voir un jour clairement le visage hideux d’une France pratiquant le sophisme à propos d’idéaux républicains. C’est pourtant grâce, entre autres, à Max Aub et à ses œuvres conçues à Djelfa, que s’éclairera davantage cette vérité sur la scène internationale. Celle de la France, la « mère patrie », alors qu’elle ne fut nullement une Samaritaine. Tant que la France d’aujourd’hui continue de glorifier la France d’hier et que l’Algérie d’aujourd’hui continue de se complaire dans l’oubli de l’Algérie d’hier, eh bien l’Algérie de demain saura mesurer l’immensité du ratage historique dont sa devancière se sera rendu coupable ou plutôt, dont celleci aura été victime de la part de ses propres intellectuels.
Max Aub, qui mourut en 1972, fut l’ami de Raphaël Alberti, Antonio Machado, Ernest Hemingway, André Malraux et Pablo Picasso, tous d’inconditionnels défenseurs de la cause républicaine espagnole.

Adel Hakim
Journaliste, Chroniqueur.