L’enfant de cœur

Elle s’était levée effarée, tremblante, inexistante, son cœur palpitait en son intérieur, son sang bouillonnait dans ses veines et ses yeux ne pouvaient se fixer sur un seul cadre. Elle aurait aimé crier, hurler, s’essouffler, mais rien ne sortait. Elle aurait aimé partir, voler, s’enfuir, elle était enchaînée. Enfermement transparent, enchaînement silencieux, tout l’attachait à ce lieu, tout la détachait de son être.
Après une telle confrontation, après une telle démonstration de violence, elle avait compris que les chaînes qui la reliaient au monde étaient invisibles, que la douleur qui l’infiltrait au fond d’elle-même était bien visible, mais tous feignaient de ne rien voir ni savoir. Elle était une et les unes ne pouvaient ni rêver ni s’évader, elle devait obéir sans rien reprouver. Elle n’était plus une, elle n’était rien.
Aussi loin qu’elle s’en souvienne, aussi loin qu’elle puisse remonter, une sensation de chaleur l’imbibait. Celle du dégoulinement tout chaud de ses larmes sur ses joues. Elle n’était plus que le viol d’un genre, l’accablement d’une liberté éphémère.
Assise à l’écart, face au mur dans l’humide noirceur de cet igloo, elle pleurait son appartenance au monde. Ses respirations se faisaient de plus en plus haletantes. L’air ne passait plus ; elle suffoquait, elle se desséchait, elle allait éclater. Éclatée, elle l’était déjà en son for intérieur, bien en chair. Éclater ! Son cœur était gros.
Recroquevillée sur elle-même, elle espérait disparaitre dans la noirceur de cette soucoupe. Elle espérait être absorbée par l’immensité de l’univers. Mais tant l’oiseau vole dans le ciel, il ne peut atteindre les étoiles. Il ne peut arriver à la lune pour lui raconter la souffrance d’une Elle, dont l’enracinement laminait les entrailles.
Endormie sur les dunes, mouillée par ses larmes blanchâtres, recroquevillée sur son âme, abandonnant sa personne, elle constatait que comme les graines de sable qui dansent au gré du vent dans un Sahara caniculaire, elle devait s’accrocher à l’iceberg qui enfuit tellement de malheur, ne laissant paraître que la face lisse de ses dunes dorées et chaleureuses.
Elle avait goûté au malheur de l’existence, elle avait cherché le bonheur de la liberté, elle n’avait récolté que la grandeur de la souffrance, soldée d’un va et vient intarissable. Tant physique que morale, cette souffrance l’ancrait dans un flot de questionnements et d’incompréhensions. Néanmoins, elle avait compris que ce tourment l’entraînerait six pieds sous terre.
À l’idée de ne plus être, elle avait éprouvé d’abord une folle envie, un engouement inexplicable. Partir, une entreprise bien alléchante ! Lors de sa traversée du Styx, elle aurait rencontré d’autres Elles échappées des mains foudroyantes, transperçantes, déchirantes du Lui. Elle aurait rencontré le cèdre dont les racines déchiquettent et laminent son âme.
Oh, douce, enivrante mélodie qui la ramènerait vers les rives du Nil où dansent les crocodiles tous fiers de leurs écailles ! Ils l’auraient sifflée, arrêtée, pénalisée. Elle aurait écopé de prison pour voyeurisme, pour falsification, pour attouchement, mais aussi pour liberté.
Dès lors, face à une non-existence non-envisageable, il ne lui restait que la guerre. Une guerre froide, brutale, immuablement muette, controversalement assourdissante, mais c’était sa guerre, à Elle, à elles, à Toutes !
Nouha Yaakoubi
Yaakoubi Nouha est enseignante du FLE au secondaire qualifiant, au Maroc. Elle prépare actuellement une thèse de doctorat à l’université Mohamed Premier d’Oujda sur l’adaptation cinématographique des romans du XXème siècle. Elle milite auprès de ses étudiantes et étudiants pour valoriser la place des jeunes adolescentes dans le milieu scolaire.