Interview exclusif de Lynda-Nawel TEBBANI par Jacqueline Brenot : Une nouvelle approche du roman algérien contemporain
Lynda-Nawel TEBBANI est l’auteure de deux romans « L’éloge de la perte » et de « Dis-moi ton nom folie », mais elle est également Docteure et Chercheure en Lettres. Ses travaux exceptionnels se consacrent à « l’algérianité littéraire » et à « l’algérianité artistique ». Elle a accepté de répondre à ces quelques questions pour « Trait-d’Union » et nous l’en remercions vivement.

Trait-d’Union : Votre parcours est d’une extrême richesse et met à l’honneur à la fois la littérature algérienne d’expression française et spécialement « le nouveau roman » et la tradition poétique chantée d’une époque plus lointaine. Ce grand écart temporel entre les deux modes d’expression vous est-il apparu évident assez rapidement ? et quelles sont les raisons essentielles de cette double quête ?
Lynda-Nawel TEBBANI : Je suis extrêmement touchée par vos mots. Effectivement, bien que mes recherches étaient, essentiellement, axées sur la littérature algérienne contemporaine – tout particulièrement « le Nouveau Roman Algérien » que j’ai théorisé – j’ai depuis ma thèse, développé une autre recherche, celle-ci dédiée à la musique arabo-andalouse, plus en détail à sa poétologie, c’est-à-dire l’étude littéraire de ces textes chantés.
En réalité, j’ai, toujours, lié les deux, par passion, sans nul doute. D’un part, car l’une, comme l’autre, sont les deux grands amours de ma vie. En tant que chercheur, j’ai dédié plus de dix ans de ma vie à la littérature algérienne et l’andalou est dans mon sang depuis ma naissance ! Mais c’est lors d’un pari pour le congrès du CNRPAH à Constantine pour Qasantina, Capitale arabe de 2015 que j’ai tenté le lien pour une conférence : la Nawba dans le roman algérien. J’ai été fascinée de ce que je découvrais ! J’ai poursuivi et continué mes recherches. Puis je plongeais dans ce sujet, plus le texte andalou m’intriguais. Bien que, j’ai eu et que j’ai encore une pratique d’interprète et de chant, je n’analysais pas poétiquement les textes. Depuis, il s’agit pour moi de faire une quête de manuscrits, de textes, d’ouvrages et de questionner le sens pur de l’art verbal andalou… En soi, c’est comme si ne pouvant quitter l’une pour l’autre, il me fallait toujours revenir à l’une et à l’autre.
Trait-d’Union : Vous évoquez le terme « emprunts » et « héritages de la nawba » / littérature algérienne contemporaine, pourriez-vous en dire davantage à ce sujet ?
Lynda-Nawel TEBBANI : On pense toujours la littérature algérienne dans le prisme de la dichotomie Oralité/Modernité. Or, j’ai déplacé cette idée par l’inclusion du chant. En effet, le chant andalou est très présent dans le roman algérien. Il est à la fois, détail, mosaïque, fond et forme. Je pense tout particulièrement aux romans d’Assia Djebar et de Sadek Aissat qui ont tout deux fondé la narration sur la structure d’une nouba, en usant des termes mêmes de ces différents mouvements pour nommer les différents chapitres (istikhbar, khlass, premier mouvement, deuxième mouvement etc…)
Ensuite, je pense qu’il y avait volonté de ma part de mettre en mots et en pages une réflexion plus personnelle sur le lien entre une algérianité littéraire et une algérianité artistique.
Trait-d’Union : Vos communications lors de conférences et colloques sont nombreuses, le sujet étant particulièrement pointu, vous devez être très sollicitée par des chercheurs et étudiants dans ce domaine… il serait très intéressant de pouvoir avoir accès aux enregistrements de toutes vos interventions réunis sur un même lien.. Cela est-il possible ?
Lynda-Nawel TEBBANI : J’ai quelques audios effectivement de mes conférences. Mais j’ai surtout – et je le dis avec un insigne honneur et une immense fierté ! – la chance d’avoir l’intégralité de ma conférence sur ce sujet qui s’est déroulée à Tlemcen, en 2017, sur YouTube. Modérée par le grand Nadit Marouf, de surcroit ! En effet, invitée par le directeur de l’époque Monsieur Ismet Touati – l’un des plus grands spécialistes de l’histoire ottomane algérienne – du Centre des Etudes Andalouses de Tlemcen, j’ai donné une conférence qui avait pour titre : L’héritage poétique andalou dans le roman algérien contemporain. J’ai découvert, par surprise, la présence dans le public de Monsieur Zoheir Guellati entrain de me filmer. Monsieur Guellati œuvre depuis des années à filmer et ainsi, archiver, tout ce qui à pour sujet ou thématique la musique andalouse : concerts, conférences, débats, rencontre. Ce jour là il avait fait Alger Tlemcen pour moi. Aujourd’hui encore, j’en rougis.
Cependant, la plupart de mes conférences sont devenues des articles dans des ouvrages collectifs. Je les partage avec plaisir.
J’ai par ailleurs en projet des tous les réunir en un essai dédié à ce sujet.
Trait-d’Union : Dans cette quête exceptionnelle, est-ce la littérature algérienne contemporaine qui vs a conduite à la musique savante algérienne, ou l’inverse et comment ?
Lynda-Nawel TEBBANI : Nullement ! J’ai toujours eu les deux dans ma vie ! La musique au biberon je dirai, hahaha ! et la littérature dans la bibliothèque de mes parents. J’ai grandi, évolué, mué à travers elle et pour elle. Je dirais que je leur dois ce que je suis devenue aujourd’hui. Ma vie de chercheur, de romancière se meut entre les lignes et entre les notes.
J’ai eu la chance de pleinement m’épanouir dans les deux univers : conférences, colloques et cours pour la littérature algérienne, en Algérie en France et un peu partout dans le monde. C’est un moment de voyages, de découvertes. D’humilité, aussi, je dirais, tant à chaque fois on se surprend à quelque chose de différent ! Ensuite, pour la musique j’ai fait partie d’orchestres andalous, j’ai donc fait des concerts, des récitals.
J’ai été dans les deux sens du miroir. Exaltant et intriguant, tout à la fois. Mais voilà.
Pour la petite anecdote. J’ai souvent collaboré avec le Centre Culturel Algérien, à Paris. J’y étais modératrice pour des conférences, j’avais créé un atelier de recherche sur les études algériennes, un lieu de rencontre pour chercheur, etc, j’y ai donné un premier concert avec ma chorale andalouse. En 2017, à deux semaines d’écart… je présentais mon premier roman L’Eloge de la perte sur la scène qui quelques jours plus tard sera celle du concert de mon orchestre de l’époque Ensemble Andalou de Paris. J’étais pratiquement assise au même endroit. Voyez, je ne peux me séparer l’une de l’autre !

Jacqueline Brenot
Jacqueline Brenot est née à Alger où elle a vécu jusqu’en 1969. Après des études de Droit, de Lettres Modernes et de Philosophie, elle devient Professeur Certifié de Lettres en Lycées, Collèges et Formation Adultes du Greta à Paris et dans la région parisienne. Conceptrice et animatrices d’ateliers d’Écriture et de Théâtre et de projets nombreux autour de la Citoyenneté, Jumelage de villes, Francophonie. Plasticienne avec le groupe Lettriste d’Isidore Isou. Assistante de projets de l’Astrophysicien et Plasticien, feu Jean-Marc Philippe (www.keo.org). Auteure de nouvelles et poèmes inédits, elle a publié « La Dame du Chemin des Crêtes-Alger-Marseille-Tozeur» chez L’Harmattan en 2007,dans la collection « Graveurs de Mémoire ». Participe à des ouvrages collectifs, comme « Une enfance dans la guerre » et « À L’école en Algérie des années 1930 à l’Indépendance » chez les Éditions Bleu Autour. Des nouvelles et de la poésie à la « Revue du Chèvrefeuille étoilée ». Chroniqueuse à l’hebdomadaire Le Chélif depuis février 2018, a publié « Œuvres en partage » Tome I et II, présentés au SILA 2019 à Alger.