Le patrimoine linguistique

La langue constitue l’une des strates les plus fondamentales du patrimoine. Or l’évolution d’une langue ne relève pas tant d’un déterminisme philologique que d’un effort volontaire, d’une conscience qui accompagne l’essor d’une conscience nationale. Les institutions publiques en sont le vecteur. Le domaine linguistique est certes le domaine où les deux attitudes, valorisation et stigmatisation sont observables. En effet, les représentations que se font les citoyens de l’importance d’une langue sont de nature soit à la valoriser soit à la stigmatiser. Cela ne pourrait être dissocié de la politique linguistique du pays qui façonne dans une grande partie ces représentations.
Kellers, l’éminent linguiste, pense ceci : « Une langue peut faire naître chez ceux qui la parlent des sentiments de fidélité comparables aux sentiments qu’évoque l’idée de patrie ou celle de nation. Ils conçoivent leur langue comme une totalité, en opposition avec les autres langues, et lui accordent une position élevée dans une échelle des valeurs, une position qui demande à être » défendue « . La langue devient un symbole et une cause. À cet égard, la forme écrite peut apparaître comme particulièrement précieuse. Cette représentation idéale des langues et les retentissements émotionnels qu’elle peut provoquer caractérisent la civilisation occidentale, à l’histoire de laquelle elle est profondément liée. »
Quelques clichés entourant le concept de langue
Une langue scientifique, une langue littéraire, une langue de prestige, une langue universelle, une langue riche, une langue pratique, une langue pauvre, une langue sans grammaire, une langue rudimentaire, une langue compliquée, une langue hétérogène etc. …Ce sont tous des stéréotypes dans la mesure où tous ces jugements renvoient à des appréciations qui ne sont le fruit d’aucune recherche scientifique. Toutes les langues sont des systèmes et chacune d’elles a son propre charme. Il convient donc de les considérer toutes, en œuvrant à leur promotion et leur utilisation dans tous les domaines d’activités. Toutefois, il arrive souvent que la volonté de valoriser un patrimoine linguistique conduise à une ghettoïsation de la langue en question, voire à du chauvinisme linguistique. Le risque d’une telle attitude réside dans le fait qu’en voulant sauvegarder son patrimoine, on est amené à stigmatiser, inéluctablement, celui de l’autre. Or, il est bien admis qu’une identité linguistique, aussi hermétique soit-elle, se façonne en se nourrissant des influences aussi riches et variées les unes que les autres.
Mohand Amokrane AIT DJIDA
Docteur en didactique du français langue étrangère et enseignent au département de langue française à l'Université Hassiba Benbouali de Chlef.