LE NUMÉRO 2 DU MAGAZINE « TRAIT-D’UNION » EN PARLE :« Mama Africa »
En dépit des circonstances difficiles dues à l’épidémie de la Covid-19, le numéro 2 de l’e-magazine littéraire et culturel « Trait-d’Union » est paru en ce début décembre et remporte un franc succès avec environ 1000 lecteurs dès la première semaine. Défi d’une équipe non sponsorisée mais dynamique et motivée par une volonté d’une culture partagée et gratuite.

Le directeur de la publication Abdelhakim Youcef Achira et son rédacteur en chef Adil Messaoudi peuvent se réjouir de la réussite de leur projet ambitieux ayant pour thème : l’Afrique. En contactant l’éminent Pr Benaouda Lebdaï, spécialiste de la littérature africaine coloniale et postcoloniale, journaliste, chroniqueur et auteur, ils se sont adressés à la personne adéquate. La brillante programmation dépasse leurs attentes avec la contribution de romanciers, d’artistes, de professeurs d’universités, de chroniqueurs littéraires, de cinéastes, tous originaires de la même terre africaine, symboliquement surnommée pour l’occasion «Mama Africa». Un numéro consacré à un sujetsi imposant et l’intérêt marqué par un nombre record de lecteurs interrogent. A propos, Adelhakim Youcef Achira tient à préciser que le thème de cette 2ème édition de «Traitd’union» est né avec la lecture de la chronique littéraire sur «Winnie Mandela, le mythe et la réalité» de Benaouda Lebdaï, publiée dans l’hebdomadaire «Le Chélif» en 2019 et s’est confirmé avec la sortie du film «Tout simplement noir» (2020) de Jean Pascal Zadi, mais depuis longtemps la chanson «Je suis Africain» du regretté Rachid Taha avait jeté les premiers jalons. D’une façon plus générale mais référentielle, il faut aussi se souvenir d’une époque où l’Algérie était considérée, peu après son Indépendance, «Leader de l’Afrique», avec ce que cela implique d’aides au nationalisme africain et d’échanges diplomatiques, culturels et commerciaux, contrepied des scissions entretenues par des années de colonisations.
Par ailleurs, comme le rappelle le directeur de la rédaction de ce numéro, Benaouda Lebdaï, sur la base du principe avéré de diviser pour mieux régner, la séparation qui prévalait durant la colonisation : le concept de «l’Afrique du Nord blanche et l’Afrique noire» reposait formellement sur des intérêts politiques et mercantiles. La réalité prouva que les liens résistaient avec les rappels de la formation des «leaders de l’Afrique du Sud, du Zimbabwe, du Mozambique, dans leurs luttes contre l’apartheid, furent formés et aidés par l’Algérie» et cet hommage de Nelson Mandela «l’Algérie a fait de moi un homme».
Malgré un contexte troublé, souvent dramatique, après des années de guerres fratricides, entretenues au profit d’intérêts hors-sol, les nouvelles générations semblent reprendre le flambeau en attestant de leur africanité par des initiatives culturelles nombreuses. Ce magazine électronique exceptionnel en témoigne.
Le numéro s’ouvre sur l’article de l’écrivain Abdelkader Djemaï, consacré à Mohammed Dib. Celuici cite les étapes de l’auteur pilier de la littérature algérienne, les voix «individuelles ou collectives», «la force et la densité» qui parcourent son œuvre, sans oublier la place du français «la langue du colonisateur qu’il «écrivait de l’extérieur». Cette option forte et féconde qui parcourt sa création en fait «une œuvre libre et souveraine» qui marquera des générations d’écrivains.
Dès les premiers articles, un constat commun plutôt «accablant» sur ce continent qui, en d’autre temps, fascina voyageurs, explorateurs, savants, artistes, pour ses qualités intrinsèques de terre d’accueil, de culture millénaire et de richesses naturelles. Cette conception connotée passe à présent pour une «idéalisation béate du continent tel que pratiqué par les auteurs de la négritude». Par la plume de Daniel Biyaoula, l’auteur de «L’impasse», paru en 1996, primé du Grand Prix littéraire de l’Afrique Noire, Mériem Zeharaoui dresse le portrait d’une Afrique présentée sous des angles «dérangeants particulièrement sombres», voire dramatiques avec une émigration massive hors de la terre natale, parfois un retour au pays décevant. Somme toute, après le temps de la dimension «mythique» de l’Afrique, celui des écrivains postcoloniaux «de la désillusion», comme le précise ce Maître de Conférences à l’Université de Blida 2.
Effets pervers d’un continent face à de multiples défis et prédations mondiales aux conséquences désastreuses. Loin de l’image sur papier glacé d’une Afrique «considéré comme berceau de l’humanité», comme le rappelle Mériem Zeharaoui, la réalité actuelle laisse un goût amer.
DES PERCEPTIONS À L’ÉCHELLE DE L’HUMAIN
La littérature garde sa place privilégiée dans ce numéro, mais ne néglige pas pour autant d’autres pans culturels tels que le cinéma, notamment le cinéma algérien avec l’engagement d’actrices algériennes contre les féminicides durant la décennie noire, avec le film «Papicha» (2019), ou «Rachida» (2002). «Le cinéma algérien contribue activement à combler cette amnésie et en à mémorialiser les traumatismes à travers la mise en scène d’histoires qui montrent l’intimité de la terreur».
Avec Karen Ferreira-Meyers, professeur de l’Université d’Eswatini d’Afrique du Sud, on découvre que «depuis la fin des années 70, le roman policier écrit par des femmes et centré sur «la femme enquêtrice professionnelle», «a explosé sur le marché de la fiction populaire… en Afrique du Sud», malgré une forte misogynie. Le résultat accroît la visibilité des femmes dans le domaine littéraire.
A travers la perception de l’artiste togolais, Jerry Doe-Orlando, qui puise son inspiration dans un quartier de Lomé, sa ville où «vivent les descendants et familles des anciens esclaves», côtoient touristes et désœuvrés, Kangni Alem Professeur à l’Université de Lomé et romancier présente une démarche entre arts traditionnels et interfaces actuels. Chez ce plasticien autodidacte «faiseur d’images», «transitionniste», le projet artistique numérique «transmigration» vise à négocier avec les nouvelles technologies trop invasives à l’égard de la réalité quotidienne.
Les langues officielles actuelles en Afrique et leur impact sur la littérature interrogent. Le Pr Benaouda Lebdai y répond en évoquant les relations privilégiées et complexes des romanciers avec «leurs langues d’écriture», même si «force est de constater que les romanciers africains sont aujourd’hui décomplexés avec la langue de l’Autre». La place de l’oralité dans l’écriture y reste importante pour ne pas dire essentielle. Mais il en est de même dans les discours idéologiques et les débats autour de l’authenticité africaine. «Interactions» et «hybridité» des cultures orales y occupent une place centrale.
Concernant la littérature congolaise, l’article de Julien Kilanga, Pr émérite à l’Université d’Angers interroge sur «la littérature congolaise de langue française», l’une orale et l’autre écrite, avec convergences de l’interculturel, de la diversité culturelle et linguistique. Il ne peut être question d’une identité «cloisonnée» mais bien de «convergences dynamiques interculturelles et linguistiques». Il mentionne aussi une pléiade de jeunes poètes congolais dont les œuvres sont «à mi-chemin entre la poésie classique traditionnelle et le courant négro-africain».
Il existe en Afrique des cultures avec leurs spécificités qu’il est difficile de rendre dans une langue étrangère officielle, pratiquée suivant les enjeux politiques locaux.
Autre particularité artistique soulignée dans ce numéro : la diversité architecturale présente en Afrique du Nord, avec une succession de nombreuses civilisations, dont l’architecture coloniale fait partie. L’architecte Hadaoui Messaoudi insiste sur l’intérêt de préserver ce patrimoine qui «pourrait être une attraction touristique pour l’Algérie de demain».
Nadia Hamidou-Benkalfate, docteure en Littérature, dresse un bilan riche et diversifié dans son article «Saga Africa», sur les littératures africaines à l’heure de la globalisation, avec leurs diversités, leurs chemins d’exil, leur attachement à la terre natale.
INTERROGATIONS ET ATTENTES EN PARTAGE
Sarah Kouider Rabah, Maître de conférence à Blida 2 dresse les portraits de trois écrivains africains, dont celui d’Alain Mabanckou, écrivain et enseignant franco-congolais à l’Université de Californie. Dans «Le monde est mon langage», ce dernier use d’«une langue chamarrée» qui mélange à des anecdotes autobiographiques, des auteurs contemporains. Il y fait «table rase de la littérature francophone ou afropolitaine… pour poser les fondements d’une littérature interculturelle à l’échelle du monde».
Au fil de ce magazine, des écritures forgées par l’Histoire partagent leurs interrogations et leurs attentes, telles que celle de Léonora Miano, auteure camerounaise primée. Dans «Habiter la frontière», présentée par Amina Bekkat, professeur à l’Université de Blida 2, celle-ci atteste de son intérêt pour «l’Afrique et ses peuples, aux identités frontalières et à l’hybridité culturelle».
«L’écriture féministe subversive» d’Amma Darko évoquée par Koumagnon Alfred Djossou de l’Université d’Abomey-Calavi du Bénin, apporte un regard sur la société ghanéenne «faite par les hommes, pour les hommes» qui «déconstruit les statuquos».
A travers le brillant portrait et la biographie très documentée «Winnie Mandela, le mythe et la réalité», Benaouda Lebdaï met à l’honneur les africaines au service de la liberté. (cf: chronique de l’hebdomadaire «Le Chélif»)
Jacqueline Jondot, docteur et professeur des Universités présente l’écrivain anglo-soudanais Jamal Mahjoub/Parker Bilal qui interroge cette double origine et double identité littéraire dans ses romans. Adil Harbouche, expert en management, évoque dans un article «Alexandrie, une ville grecque en Afrique», l’heureux mariage de deux grandes civilisations, grecque et égyptienne et par conséquent africaine.
Par ce troisième roman «Aux portes de Cirta», présenté par Afifa Bererhi, professeur à l’Université de Blida 2, le jeune auteur algérien Mohamed Abdallah confirme ses talents de romancier historique. A travers la geste brillante de Massinissa, une mise en lumière d’une histoire oubliée, en miroir avec les divisions de l’Afrique contemporaine, mais toujours dans «le souci de sauvegarder les richesses de la terre nourricière».
Avec Daouda Tékété, essayiste malien, très sollicité par les médias de Bamako, nous découvrons sous la plume de l’enseignant chercheur de l’Université de Bamako Aboubacar Abdoulwahidou Maiga, une volonté d’émergence d’un nouvel homme africain par le genre de l’essai littéraire.
Avec Imèn Moussa, poétesse tunisienne et docteur en Littératures françaises et francophones, qui revendique une «identité nomade» comme mode de vie, la poésie s’empare du thème des Harragas avec deux extraits du brillant recueil «Il fallait bien une racine ailleurs».° Ces pistes de réflexion se veulent des propositions de lecture à venir des auteurs cités et avec elles, d’autres questions engendrées par les identités multiples de l’Afrique.
«Mama Africa» peut être fière de ses enfants qui n’ont pas dit leurs derniers mots sur les maux qui accablent ce continent convoité, trop longtemps spolié. Après le «réveil» de l’Asie, celui de l’Afrique est en bonne voie, les auteurs de ce numéro en attestent.
Cette collection d’articles en accès libre constitue un corpus aux thématiques complémentaires, révélateur de talents et engagements artistiques.
Le principe novateur de ce magazine exprime une volonté d’offrir un outil de connaissance gratuit, consultable hors des frontières, donc de renforcer le principe dynamique d’interdépendance des savoirs et de diffusion indispensable d’héritages culturels, face à l’uniformité de la mondialisation. A ce titre, ce numéro «Mama Africa» rappelle la diversité de nos identités culturelles, leurs processus d’appropriation et de partage.
N’oublions pas la qualité plastique des photos du jeune et talentueux Osaigbovo Desmond, photographe originaire du Nigéria et leur mise à la disposition gratuite pour le Magazine «Trait-d’union».
Souhaitons de prochains numéros aussi brillants pour poursuivre dialogues et points de vue sur la connaissance des mondes qui nous habitent, en dépit des pandémies de toutes sortes!
Jacqueline Brenot
Jacqueline Brenot est née à Alger où elle a vécu jusqu’en 1969. Après des études de Droit, de Lettres Modernes et de Philosophie, elle devient Professeur Certifié de Lettres en Lycées, Collèges et Formation Adultes du Greta à Paris et dans la région parisienne. Conceptrice et animatrices d’ateliers d’Écriture et de Théâtre et de projets nombreux autour de la Citoyenneté, Jumelage de villes, Francophonie. Plasticienne avec le groupe Lettriste d’Isidore Isou. Assistante de projets de l’Astrophysicien et Plasticien, feu Jean-Marc Philippe (www.keo.org). Auteure de nouvelles et poèmes inédits, elle a publié « La Dame du Chemin des Crêtes-Alger-Marseille-Tozeur» chez L’Harmattan en 2007,dans la collection « Graveurs de Mémoire ». Participe à des ouvrages collectifs, comme « Une enfance dans la guerre » et « À L’école en Algérie des années 1930 à l’Indépendance » chez les Éditions Bleu Autour. Des nouvelles et de la poésie à la « Revue du Chèvrefeuille étoilée ». Chroniqueuse à l’hebdomadaire Le Chélif depuis février 2018, a publié « Œuvres en partage » Tome I et II, présentés au SILA 2019 à Alger.