Trait-d'Union Magazine

Le destin de Mrayouma

À peine sortie de l’enfance Mrayamou avait l’air guilleret par le fait de pouvoir enfin porter le voile comme toutes les jeunes filles de cette contrée loin de tout. Un peu plus élancée que les filles de son âge mais bien enrobée par le gavage subi cet hivernage, elle avait la silhouette d’une petite femme bien qu’elle réfléchissait encore comme une enfant toujours insouciante de cet événement qui brisera à jamais ses rêves. Ses petites dents marquées par un diastème qu’elle frottait sans cesse avec un messouak et ses grands yeux aux longs cils marquaient son joli visage. Son profond regard à la fois innocent et farouche faisait son charme sauvage et attirant. Tannée par le soleil du Sahara sa peau mate et ses cheveux noir brillant et ondulés à peine visibles sous son fin voile coloré qui couvrait presque tout son corps lui donnaient cette beauté gitane envoûtante qui ne laissait aucun homme indifférent. Pourtant tout le campement chuchotait en douce et à son insu la nouvelle de son futur mariage avec Hamadi de quarante ans son aîné. Dans cette profonde Mauritanie traditionnelle le mariage précoce, forcé et arrangé des adolescentes fait encore partie des mœurs tant il est vu comme anodin. Rarement le consentement de la fiancée n’est pris en compte surtout si elle vit encore sous la tente de ses parents. Son père Abdellahi très endetté ne pouvait refuser l’unique proposition de son intime ami qui annulera ses dettes en contrepartie de la main de sa fille chérie. Ici la pauvreté des uns fait encore le bonheur des autres. Mais la jeune adolescente ne se doutait de rien et tous les après-midis, à la même heure, assise en tailleur elle préparait tranquillement un thé à la menthe à son futur bourreau qu’elle considérait jusqu’ici comme un ami fidèle à son père. Bizarrement le vieil homme la couvrait de cadeaux venus directement du marché de la capitale et lui faisait des compliments parfois assez osés de sa part. Pour éliminer tous ses soupçons sa mère lui avait dit que ce prétendant avait demandé en mariage sa grande sœur divorcée et déjà mère de deux enfants seulement à seize ans. Mais par pudeur c’était à elle de préparer le thé à son futur beau-frère comme le veut la tradition chez les gens de bonnes familles. Ce fiancé déjà père de plusieurs enfants éparpillés un peu partout dans ce vaste territoire semi-aride était un commerçant et propriétaire de bétail. il possédait plusieurs centaines de moutons, de chèvre et de dromadaires. Une grande fortune dans ce monde encore pastoral où les animaux nourrissent les hommes. Son rang social lui permet aussi de demander la main de n’importe quelle jeune adolescente malgré son âge avancé et son physique visiblement pas très élégant. Ici la pyramide des castes est toujours solidement debout malgré le progrès qui frappe de plus en plus fort à la porte de cette culture qui se protège fièrement derrière ses us et coutumes. Hamadi était marqué par le poids du temps qui avait vieilli son visage, ramolli ses muscles et usé sa dentition dont il ne lui restait que quelques racines noircies par un usage excessif de tabac noir fumé dans une pipe. Dans la société maure traditionnelle la beauté d’un homme importe peu c’est plutôt son nom de famille et sa fortune qui comptent le plus. La date du mariage était déjà fixée car le vieux fiancé devait vite rejoindre le gros de son bétail parti très loin paître dans un pays voisin vu que cette année-là les pluies étaient insuffisantes à faire pousser suffisamment d’herbe pour nourrir tout le cheptel.

Sa prochaine victime Mrayouma gonflera simplement le rang de toutes ces jeunes jolies filles qui ont eu le malheur de croiser son chemin de nomade et finira peut-être elle aussi avec un ou deux enfants à charge comme sa malheureuse grande sœur.

Sachant que le sort de mon amie était presque scellé je ne pouvais que suivre de mes yeux d’enfant berger la succession des événements dans ce monde rural où certains ont toujours le pouvoir de décider de la vie des autres. Ce mariage qui se prépare en coulisses finira certainement par un divorce. Mais qui dit qu’ici une femme divorcée, encore plus appréciée des hommes, n’en vaut pas deux ?

Par Ahmed Cheine Sidi

Ahmed Cheine Sidi

Biographie : Ahmed Cheine Sidi âgé de 52 ans, titulaire d’un Master en communication de l’université de Rostov sur le Don en Russie et habitant à Nantes en France. Mauritanien d’origine il exerce dans le domaine du journalisme. Il est aussi interprète polyglotte, poète et essayiste.

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Directeur de la publication de Trait-d’Union magazine. Membre fondateur, Ex-président et actuel SG du CLEF Club Littéraire de l’Étudiant Francophone de l’université de Chlef. Journaliste et chroniqueur à L’hebdomadaire LE CHÉLIF. Membre du jury étudiant du Prix Goncourt choix de l'Algérie 1ère édition. Enseignant vacataire au département de français UHBC.

Ana Hiya !

Ana Hiya !

Cette mer est la mienne

La mer était toujours la solution !
Dans un paradoxe, de ce qu’est la mer pour nous, les peuples au-delà des mers, elle était toujours la solution !
Nous appartenons à ces mers et elles nous appartiennent … Quand tu t’enfuis vers elle, tu veux la vie, elle t’offre la vie.
Quand tu t’enfuis vers la mer pour une mort désirée, elle te guide vers la mort.

Itinéraires : Mouna JEMAL SIALA

De l’enracinement local au rayonnement continental, l’itinéraire de Mouna Jemal Siala est un modèle du genre : née à Paris, son enfance a connu plusieurs régions et plusieurs cultures, dans le sillage de la profession de son père, haut fonctionnaire, gouverneur et diplomate.

La littérature féminine d’expression Kabyle, rempart de la langue maternelle

Le paysage littéraire dans notre pays est en évolution permanente. Telle une prise de conscience, la femme s’est investie pleinement dans la production et œuvre ainsi à son essor. Cependant, ces dix dernières années, la littérature d’expression kabyle a connu une effervescence remarquable, particulièrement, avec l’émergence d’un nombre de plus en plus croissant d’auteures-femmes de romans écrits en leur langue maternelle, la langue chère à Mouloud Mammeri, Tamazight. Elles sont nombreuses, elles se comptent par dizaine, aux parcours et styles différents. Elles ont toutes cette chose en commun : l’envie d’écrire en sa langue maternelle !
« Ma langue chérie, je n’ai pu raconter l’histoire que par toi et je n’ai pu reconnaitre les choses que par tes mots ; je ne me suis réjouie avec les sens du parler que par tes dires, je m’aventure comme je veux et jamais je ne suis tombée dans le vide. Je n’ai pu prouver avec exactitude mon idée que par ta richesse et par la force de tes mots. », écrit Farida Sahoui, en s’adressant à sa langue maternelle dans l’un des chapitre de son livre écrit sur le Roi Jugurtha en trois langues (français, arabe, tamazight). A son compte trois livre depuis qu’elle a renoué avec sa plume en 2015. En effet, ses premiers écrits en Tamazight remontent aux années 90, des articles publiés dans le journal « Le Pays » (Tamurt).

Femmes du Maghreb, comme si cela datera d’aujourd’hui…

Il y a dans l’histoire de l’Humanité une vérité cachée qui n’est connue que par les avertis et les prévoyants. Ceux-là mêmes qui ne se laissent pas griser par les artifices de la « marchandisation » du monde. Mais cette vérité, quand bien même est altérée, voir muselée par les partisans du statuquo, ne saurait rester à jamais occultée. Et viendra le jour…

Un Cœur Exilé

Si les dernières années ont vu un vent de liberté souffler sur l’Algérie, une revendication cruciale peine à s’y faire accepter, comme un cheveu déposé sur la soupe du consensus : la question des droits des femmes semble éternellement problématique. Face à cette stagnation rageante, il est capital de continuer le combat afin d’améliorer la condition de la femme dans notre pays et au-delà.

Le pardon, la grâce des mères

En France les féminicides sont devenus une banalité médiatique. En écoutant la litanie des statistiques, je ne peux m’empêcher de revenir à mon enfance, et à ce sinistre jour bien particulier. Les souvenirs sont parfois aussi douloureux que les actes.

Ce qui reste de l’hiver

Longtemps, j’ai mis ma plus belle robe pour accueillir le 8 mars. Je me fardais avec subtilité, comme je sais si bien le faire, lâchais mes cheveux, mettais un manteau et des chaussures assortis et allais rejoindre deux ou trois copines pour un après-midi shopping, un café ou, parfois, un film à la Maison de la Culture. Je sais, vous trouvez ça ridicule, et peut-être que vous avez raison. Mais quand vous travaillez debout, du matin jusqu’au soir, tous les jours que Dieu fait, que vous devez supporter une marmaille d’enfants qui s’amusent ou se chamaillent pendant que vous vous tuez à leur expliquer le sens de telle phrase ou la moralité de tel texte, et que, une fois rentrée chez vous, vous devez vous occuper de deux mâles paresseux – votre mari et votre fils – eh bien, croyez-moi, vous guettez le moindre moment de détente. Quand, en dehors du 08 mars, ai-je le temps de voir mes amies ou d’aller à un gala ? Alors, pourquoi ne pas en profiter, mon Dieu ? C’est ce que je me suis dit pendant des années.

ROUGE IMPURE

Sang de mes menstrues. Sang de mes entrailles. دم الحيض. Sang cyclique. Sang impur, de la fille devenue femme. Femme-diablesse. Folle fieffée. Femme pécheresse. Âsiyah ! Ya latif, ya latif ! En ce premier jour de l’écoulement de mes menstrues, je serai confinée dans la pièce de mes supplices éternels, loin de l’odeur capiteuse du […]

JE NE SAIS QUE T’AIMER

Je ne sais que t’aimer et pour ce crime ils disent que je suis devenue impure que j’ai oublié Dieu que j’écris ton corps et ton nom que le feu me guette quand moi je parle de lumière Je ne sais que te dire et dire et dire et la nuit dit avec moi les […]


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