Trait-d'Union Magazine

La Soif de Assia Djebar (1957) : L’air de flûte au milieu du bruit des canons

En 1957, Assia Djebar, jeune étudiante en Histoire à l’Ecole Normale Supérieure de Sèvres publie chez Julliard son premier roman : La soif. Les personnages sont irréels, presque fantasmés, et la narratrice, Nadia, à peine sortie de l’adolescence emporte le lecteur dans un univers hors du temps et le plonge dans les tourments d’une jeunesse désinvolte. Seulement, la guerre fait rage en Algérie. Et La soif, qui connait un franc succès en France ne trouve pas d’écho dans le pays natal. La critique est vive à l’encontre de la jeune femme, lui reprochant de passer sous silence la réalité algérienne et de mettre en scène une existence bourgeoise marquée par des préoccupations sans intérêt pour la cause nationale. Pourtant, si ces préoccupations ne sont pas au premier plan, elles influent d’une manière indéniable sur l’œuvre. C’est ce que nous allons tenter de démontrer.

La soif s’inscrit dans un mouvement littéraire qui prend son essor durant les années 50, le nouveau roman. Ainsi, A. Djebar, s’approprie cette nouvelle façon d’écrire revisite le roman algérien. Le roman se libère du réalisme et des contraintes et devient un champ d’expérimentations pour la langue et pour l’écrivain. La réalité de Nadia est superficielle, unidimensionnelle, onirique. Plus tard, A. Djebar, vivement touchée par la critique, déclarera que ce premier roman n’était qu’un essai stylistique, qu’un air de flûte.

Au-delà du procédé stylistique, la soif est également un roman d’apprentissage. En effet, au début du roman, Nadia incarne une jeunesse féminine libre et révoltée  contre le patriarcat, contre l’amour, contre le mariage. Elle entraine le lecteur dans des rapports ambigus avec les autres personnages qui semblent graviter autour d’elle, mais aussi dans son rapport à elle-même,  à son corps et à sa solitude. Elle semble tirer les ficelles d’une réalité qui finira par l’engloutir. Aux dernières pages du roman, elle incarnera une jeune femme pensive et hantée par les souvenirs d’une jeunesse désinvolte.

Il est également intéressant de resituer l’œuvre dans la vie de son auteure. En effet, A. Djebar est la première femme musulmane à intégrer l’ENS de Sèvres. Christiane Klapisch-Zuber, une amie de promotion d’A. Djebar, témoignera plus tard : « Tout de suite elle s’est fait remarquer par son indépendance à une époque où l’Algérie n’était pas indépendante (…) Elle était déjà engagée pour la lutte pour l’indépendance, elle a été très active pour nous rendre sensibles au contexte de la lutte (…) Elle nous a affranchies sur l’existence de différents mouvements luttant pour l’indépendance ». Plus tard, elle se fera exclure de l’école pour avoir suivi l’appel à la grève de l’UGEMA en 1956. L’écriture devient pour elle un besoin irrépressible. Et la parution de La soif fait d’elle la première femme écrivain d’Afrique du Nord.

Il faut également noter un passage de La Soif qui trahit les idéaux de la jeune écrivaine. Ali, jeune journaliste s’apprête à monter un journal : «  Le journal que je vais monter sera bilingue : français et arabe. Ce sera difficile, je ne me fais pas d’illusion. Mais si seulement au début je gagne à moi tous les jeunes, je pourrai tenir… les échecs ont peu d’importance. Le pire, c’est la léthargie, le sommeil ! On ne parle toujours que des colons, du colonialisme. Le mal, voyez-vous, c’est notre mentalité de colonisés, de colonisables. C’est cela qu’il faut secouer. »

La jeunesse incarne ainsi l’espoir, le besoin de s’affirmer, l’esprit de liberté et de révolte. La jeunesse que met en scène A. Djebar est à son image, non-colonisable. Plus qu’un air de flûte, ce premier roman affirme la virtuosité de la jeune auteure et marque ainsi la naissance d’une œuvre prolifère. 

Auteur

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Etudiante en médecine à l'Université Mouloud Mammeri, Djouher Mezdad est également une passionnée d'arts et de littérature. Elle fait ses premiers pas dans l'écriture dès 2015 en contribuant pour le magazine satirique El-Manchar. Elle contribuera régulièrement pour le magazine Ineffable Art et Culture à la rubrique littéraire. A travers des articles sur l'actualité littéraire, des analyses littéraires et des interviews d'auteurs algériens, elle vise à promouvoir la littérature algérienne "parce que les jeunes ne lisent pas assez".

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