LA PROFONDEUR DES SENTIMENTS

Le dernier livre de Yasmina Khadra, sorti lors de la dernière rentrée littéraire en France, ressemble beaucoup aux autres livres de l’écrivain. Même style. Ici pourtant, il s’agit d’une histoire dramatique. Quand on a fini « Le sel de tous les oublis », le sentiment d’avoir été bercé par la chaleur d’une histoire si bien racontée, nous saisit tellement, que l’on voudrait que celle-ci se prolonge davantage, s’étale, et ceci jusqu’au comble de l’émotion. C’est une histoire d’un amour perdu, d’une passion amoureuse qui finit en folie. Comme souvent on le lui reconnait, le texte est bien écrit et le tout bien ficelé, bien cousu : généralement les écrivains qui ont cette propension au conte, maîtrisent la confection. Il est clair, qu’en lisant ce livre, vers la fin, on n’en sort pas sonnés, bouleversés, comme quand on a lu un « Madame Bovary ». On ne demande pas non plus à Yasmina d’être un Flaubert. Un livre, pourtant, aussi important que celui touchant à la passion de l’amour, aurait dû s’être imprégné d’énormément de sentimentalités, de fièvre, ce qui manquait, ou sinon que l’écrivain algérien a délaissé ou se soucie peu de la notion du ton et du rythme. Le ton tragique nécessite des formulations abstraites, métaphoriques. Et pas que le rythme, ici l’écrivain ne révèle pas assez les émotions intérieures des personnages, qui grâce à elles, l’histoire se charge d’inquiétudes, d’intrigues et d’effrois. Yasmina sait décrire les scènes, sait se mettre dans les habits de ses personnages mais encore, faut-il qu’il puisse faire parler en profondeur les sensations, enrichir les sentiments de désespoir, les dialogues avec soi, en agissant par la gravité. Sur un autre plan, celui de la concordance des choses avec le temps, je doute fort que le prénom Adem (Adem Naït-Gacem) ait pu exister chez nous dans les années soixante, ainsi que l’usage du mot plastique : on disait plutôt caoutchouc. Si le titre n’avait pas suscité de curiosité c’est qu’il a failli à quelque part. La preuve est qu’il n’a pas été approché par aucun prix littéraire. Yasmina a dû s’en rendre compte de tout cela, lui qui est perfectionniste dans l’âme et si consciencieux. Étant ami et voisin, je sais le degré de son honnêteté et intégrité. Étant adolescent, je me rappelle avoir eu une tristesse qui a duré trois jours, en ayant lu « Le rêve » de Zola. Pour dire à quel point une œuvre chargée de sentiments sait nous emballer.
Abdellah OULDAMER
Diplômé de l’Académie royale de liège (Belgique). Infographe 1992 chez ObjectifCom. Journaliste collaborateur, 1995, le Soir d’Algérie, El Moudjahid. Rédacteur en chef 2012 chez La Concorde. Éditorialiste 2015 chez Jeunesse d’Algérie. 2 Romans parus chez Amazone, « l’américaine d’en face », « Mira »