« La mer nous emportera » Un roman historique de Khaled NAÏLI

À la jonction des quinzième et seizième siècle, le Raïs Bouzid est un des rares, sinon le seul corsaire natif de notre sol. Son entrée à Alger avec son bateau chargé du butin capturé sur les routes commerciales maritimes, met en scène badauds, négociants, vente aux enchères des biens saisis, vêtements masculins et féminins, parures, riche variété des monnaies en cours à Alger mais aussi haillons et misère. En quelques scènes de l’accueil du bateau corsaire, Khaled NAÏLI nous peint le tableau des hiérarchies politiques et administratives, des hiérarchies sociales et nous mène, à travers les retrouvailles de Bouzid avec sa famille, au sein du Fahs, cette campagne environnant Alger faite de jardins somptueux, de cultures maraichères, de vergers, de sources et d’ombrage mais surtout d’une culture raffinée.
Son fils Merzek, en sauvant de justesse la vie d’un esclave chrétien échappant à une meute, inscrira pour sa lointaine vie d’adulte et de corsaire une gratitude du même esclave qui lui sauvera la vie à son tour.
Alger, lieu emblématique de ces temps de la course naissante était donc cosmopolite. Et bien loin des clichés, le roman nous restitue la Méditerranée de cette époque qui portait en elle les conflits, les affrontements et les guerres et leurs contraires : les métissages, les échanges, les passages d’un camp à l’autre. Époque trouble, double et duelle nous dit le roman. La chute de Constantinople avait désactivé d’avance celle de Grenade. Les deux avaient amené à leur paroxysme les haines religieuses dans lesquelles se lovaient les haines personnelles vécues par les victimes d’un camp ou de l’autre, vécues par les esclaves, par les marchands.
Khaled Naïli rend admirablement le caractère double de l’époque, sa dualité, dans la dualité même des destins des personnages. Merzek, fils de Bouzid et principal personnage est confronté à cette dualité. De ses longues discussions d’adolescent avec l’ami de son père le Khodja nous retenons que des « extrémismes » mettent en danger la stabilité et la quiétude d’Alger et c’est en relation avec l’aspect guerre des religions que prenait la guerre réelle autour des routes commerciales.
Cette dualité, dans les aspects intimes et personnels muera en duplicité. Maria la captive est dans la duplicité jusqu’à l’extrême limite du concevable, nourrissant une haine et une rancune sans limite à Merzek auquel elle affichera les plus beaux des signes d’amour. Cette duplicité que d’un point de vue romanesque (esthétique) NAÏLI amènera à un point culminant dans cette maladie d’abcès purulents sur le visage de Maria, visage tour à tour de grande beauté et de hideur repoussante.
Les mœurs d’Alger, la vie domestique de cette famille très aisée de corsaire, le sort duel des esclaves-domestiques, tout à la fois esclaves et membres secondaires de la famille. Duplicité des faux amis et vrais mercenaires. Merzek deviendra Raïs avec l’équipage de son père et sur son bateau Nour, lumière, aux côtés de Khodja, le Bach-Djarrah mémoire et conteur du temps passé, et l’Imam Salim, en deuil éternel de ses enfants morts. Merzek connaîtra un jour la défaite face à trois bâtiments espagnols. C’est un nouveau moment dans ce récit où nous découvrons les interconnexions de ces ports chrétiens de la Méditerranée. Maria, devenue riche et puissante, crachera sa haine au visage de Merzek et décidera de sa mort par pendaison. L’esclave que Merzek, enfant, avait sauvé le sauvera à son tour et fuira dans son bateau vers les Amériques, ces mêmes Amériques qui furent, pour l’Europe du Sud, une issue au combat sans issue contre la Sublime Porte. Et un drame sans fin pour tous ces peuples dont nous sommes.
Par Mohamed BOUHAMIDI
Rédaction