La littérature féminine d’expression Kabyle, rempart de la langue maternelle
Le paysage littéraire dans notre pays est en évolution permanente. Telle une prise de conscience, la femme s’est investie pleinement dans la production et œuvre ainsi à son essor. Cependant, ces dix dernières années, la littérature d’expression kabyle a connu une effervescence remarquable, particulièrement, avec l’émergence d’un nombre de plus en plus croissant d’auteures-femmes de romans écrits en leur langue maternelle, la langue chère à Mouloud Mammeri, Tamazight. Elles sont nombreuses, elles se comptent par dizaine, aux parcours et styles différents. Elles ont toutes cette chose en commun : l’envie d’écrire en sa langue maternelle !
« Ma langue chérie, je n’ai pu raconter l’histoire que par toi et je n’ai pu reconnaitre les choses que par tes mots ; je ne me suis réjouie avec les sens du parler que par tes dires, je m’aventure comme je veux et jamais je ne suis tombée dans le vide. Je n’ai pu prouver avec exactitude mon idée que par ta richesse et par la force de tes mots. », écrit Farida Sahoui, en s’adressant à sa langue maternelle dans l’un des chapitre de son livre écrit sur le Roi Jugurtha en trois langues (français, arabe, tamazight). A son compte trois livre depuis qu’elle a renoué avec sa plume en 2015. En effet, ses premiers écrits en Tamazight remontent aux années 90, des articles publiés dans le journal « Le Pays » (Tamurt).

Elle écrit depuis son jeune âge !
« J’ai commencé à écrire la poésie et la prose très jeune, mais je ne les garde pas, car je n’ai jamais imaginé un jour devenir écrivaine », dira Cylia Moulla, diplômée en linguistique amazighe, qui a écrit un roman « De l’obscurité à la lumière » (Seg tallast ɣer tafat). Elle raconte son passage à l’édition : « En vérité, j’ai pris beaucoup de temps (trois ans) pour décider de publier mon tout premier roman. Car, j’ai hésité de me lancer dans ce domaine, par rapport à la réaction des lecteurs mais aussi des grands écrivains », confie la jeune romancière de 29 ans de Sidi Aich (Bejaïa) qui écrit en tamazight parce qu’elle lui facilite de s’exprimer : » je me trouve libre, à l’aise avec », dira-t-elle. Pour elle, « c’est très important de passer de l’orale à la production écrite pour préserver notre culture et notre identité. »
La majorité ont passé par là : elles écrivent toutes dès le jeune âge des petits textes, poèmes, proses sans pour autant penser à ce qu’ils adviennent une fois adultes ! « Depuis mon enfance, je suis branchée à l’écriture, et je trouve que c’est un saut d’une passion à un devoir pour pouvoir faire un trait d’union entre moi et ceux à qui je voudrai transmettre mes idées et mes visions. », dira Rachida Ben Sidhoum à propos de l’écriture. Pour elle « écrire et lire en tamazight est notre devoir envers notre langue maternelle ». Auteure de plusieurs recueils de poésie et de nouvelles, son dernier ouvrage est un roman ayant pour titre « Les ennemis de l’Humanité » (Icenga n talsa).
« Je me suis intéressée à l’écriture quand j’étais toute petite, j’écris des petites histoires pour enfants, des poèmes, des pièces théâtrales… », dira Chabha Ben Gana, écrivaine et poétesse en langue kabyle, de Michelet (en Kabylie). A son compte un roman « Le passager » (Amsebrid) et un recueil de poésie « Le bout du mot » (Ixef n wawal), coécrit avec son frère Massinissa. Pour elle, il y a des milliers de raisons d’écrire. « Premièrement, pour le plaisir, pour l’amour d’écriture, pour m’exprimer en silence. Parfois, les écritures valent bien que la parole, écrire ce qu’on a vu, pensé et senti, pour partager des idées, des émotions, pour raconter des histoires. »
Pour elle, c’est vital et important d’écrire
Une fois grandies, elles éprouvent toutes un amour inconditionnel, et par prise de conscience, le devoir de défendre leur langue et leur identité en toutes circonstances. « L’écrivain avant tout est le miroir de la société, quel que soit son but moral ou politique, il lutte contre tous les types de l’injustice et il contribue à corriger et améliorer et développer la société. », conclue Chabha Ben Gana.
De cette volonté de la promouvoir, de la faire grandir, de lui rendre la notoriété ; elles ont signé des livres, notamment romans. « J’écris pour répondre à l’appel d’urgence de ma langue, pour son existence et la nôtre. J’écris parce qu’il y a quelque chose en moi qui pousse et qui veut sortir. » Nadya Benamer, poétesse-écrivaine et traductrice en langue Amazigh. Comme Nadya Benamer, il y a beaucoup de femmes engagées et soucieuses de leur langue. Sauf qu’elle, elle vit à Oran depuis son jeune âge, loin de la Kabylie, où elle est née. Elle parle trois langues : Tamazight, Français et Arabe, comme la plupart d’entre elles, mais elle a choisi d’écrire en Tamazight.
C’est le cas de Louiza Kaneb, pour qui l’écriture en tamazight est un engagement, un choix, puisqu’elle écrit entre autre en d’autres langues. « Un amour inestimable de la langue maternelle et un acharnement sans relâche au combat identitaire. », dira-t-elle. Enseignante en arts plastiques et informatique, à son compte plusieurs traductions et adaptations de scénarios, mais elle ne compte pas s’arrêter là ! » J’écris comme je respire. Une dépendance, un dopage », dira-t-elle cette femme originaire des Ouadhias (Tizi-Ouzou) qui s’apprête à prendre sa retraite pour se consacrer pleinement à la création. En étant artiste, elle se définit comme cet écrivain qui éclaire la société et œuvre pour promouvoir la langue. « C’est le sorcier qui manipule l’esthétique et l’intellectuel à la fois », conclue-t-elle.
L’écriture, sa thérapie et son espoir !
De profils différents, pas forcément de Kabylie, souvent diplômées, venues de divers horizons, toujours fortes et savent s’assumer. Il y a celles qui ont fait des études supérieures, d’autres non ; et il y a même celles qui n’ont jamais mis les pieds à l’école ; mais rien n’empêche, l’envie d’écrire et l’impulsion l’a remporté sur l’instruction. Naima Benazouz en est un exemple vivant, elle n’a jamais connu les bancs de l’école, mais elle a tenu à écrire ; à son compte deux romans « La pénible vie » (Tudert n tmara) et « La canne des ancêtres » (Taɛekkazt n lejdud) écrits en Tamazight !
Cette fille de Béjaia, se démarque et se distingue dès sa petite enfance de ses camarades. « Ma vision de la vie est différentes de celle des autres. Depuis toujours, je vois loin, avec ma vision lointaine, j’ai toujours écouté mon cœur ! Pleine d’espoir, mais au final sans instruction, on ne peut rien faire », s’est désolée mais sans se laisser vaincre celle qui n’a jamais mis les pieds à l’école.
Elle écrit en sa langue pour lui être utile, contribuer à son développement et participer à son épanouissement « ne serait-ce qu’une contribution, car nos prédécesseurs ont énormément donné, se sont sacrifié pour notre langue, elle mérite plus que ça ! ». Et d’avouer que l’écriture lui a toujours servi pour panser ses peines, « ce qui m’a ramené à l’écriture c’est pour me plaindre à mes feuilles blanches, et leur dire tout ce qui me préoccupe, jusqu’à en devenir ma délivrance, mon espoir ».
Au nom de cette belle langue, elle écrit !
« Pourquoi en tamazight ? Moi je dirai pourquoi je n’écris pas en tamazight ? Pour moi, c’est la plus belle langue et la plus douce au monde. », répond Chabha Ben Gana, à une question lui demandant pourquoi écrit-elle en Tamazight. Comme Chabha, Tamazight, certaines l’ont étudiée, d’autres autodidactes ; par passion, elles sont toutes passées à l’acte, celui d’écrire en sa langue maternelle.
Ecrire ne leur a jamais été étranger, elles l’ont déjà fait en langues étrangères ! Français, arabe, anglais, combien de langues se sont succédé, sans jamais pouvoir anéantir celle qu’elles ont tétée… A leur tour, leur message, leur conseil, leur moral et leur connaissance, des générations qui vont le téter encore et encore, pour leur insuffler encore de la vie. Selon la jeune Cylia Moulla, « l’écrivain c’est le miroir de la société. Son rôle c’est de décrire et de montrer la réalité de la vie au monde ».
L’histoire de cette jeune fille qu’elle raconte dans son roman, qui a fait un dur apprentissage de la vie, est similaire à cette culture et l’identité ayant traversé des siècles de l’oralité et survécu aux agressions, colonisations et autres aliénations. Ces femmes ont toutes cette envie de dire, de dénoncer, de critiquer, mais aussi d’éduquer, d’instruire. Ce n’est pas par hasard si des enseignantes et autres diplômées en Tamazight investissent ce champ pour contribuer à leur manière dans la construction de la société de demain !
Ecrire, un acte de résistance et d’existence…
De son côté, Lynda Koudache, pour elle, écrire en tamazight est indispensable. « Vivre ce grand plaisir à m’exprimer en tamazight, ma langue maternelle. Promouvoir notre littérature et notre culture. Et faire partie de l’universalité. », estime la première femme à avoir écrit un roman en Kabyle, intitulé « La hutte du feu » (Aɛecciw n tmes), en 2009. Férue de littérature kabyle, française et arabe (orale et écrite), elle avait à peine 15 ans quand elle a écrit son premier texte en français, qu’elle a intitulé : «A vous de comprendre ! », qui parlait de l’attachement des berbères à leur identité. « De cet humble texte est né le désir de devenir écrivaine », avoue-t-elle.
Pour elle, le livre est le seul endroit qui nous permet de vivre pleinement notre liberté. J’évoque plusieurs thématiques : L’être, les tabous, la liberté, l’identité, la femme, la religion… « Pour moi écrire en tamazight est indispensable. Vivre ce grand plaisir à m’exprimer en tamazight, ma langue maternelle. Promouvoir notre littérature et notre culture. Et faire partie de l’universalité. », lance la poétesse et romancière, native du village Ait Boumehdi (Ouacifs, Tizi-Ouzou) qui a déjà édité des recueils de poésie en Tamazight et en français, ainsi que deux romans en tamazight.
A la quête de sa liberté…
Des thématiques différentes et variées pour parler et décrire la société, l’impacter et dans la perspective de la changer. Des romans psychologiques, philosophiques, pour conseiller et guider afin de comprendre la vie et la société, par conséquent, la vie ! Tel est le rôle qu’elle s’est assigné Zohra Lagha, fille des At Jennad, à Tizi-Ouzou, auteure d’un roman historique et social « La fin de la journée » (Tameddit n wass).
Elles ont décidé d’écrire parce qu’elles se sentent interpellées, elles ont répondu à cet appel de cœur de leur langue plusieurs fois millénaire. » C’est l’un des meilleurs moyens pour permettre à notre langue d’évoluer et d’avoir un statut d’une langue vivante, langue de l’épanouissement qui sort de l’oral à l’écrit et qui va demeurer toujours en vie immortelle. », dira Zohra Aoudia, auteure du roman « Tiziri », elle aussi diplômée en Tamazight qu’elle enseigne au lycée dans la ville de Tizi-Ouzou. Pour beaucoup d’entre elles, l’écriture est une sorte d’évasion, de libération et de thérapie.
D’après Mina Aggaz-Yahiaoui, « l’écriture, pour moi c’est comme l’oxygène qu’on respire. J’aime beaucoup écrire, car elle nous permet de dire ce qu’on ressent, d’exprimer ce que le lecteur éprouve comme sentiments enfouis ; l’écrivain est son porte-voix ! « . Et d’ajouter : « l’écrivain est comme une passerelle entre la personne et ce qu’elle veut dire. Il donne aux gens l’occasion pour s’exprimer, en évoquant à leur place ce qu’ils pensent sans pouvoir le sortir. Des fois, nous sommes leurs yeux qui leur permettant de bien comprendre la vie et ses aléas ». Auteur de deux livres, « Sentier vers l’amour » (Azrug γer tayri), qui évoque l’amour et la vie sociale en générale. « Les différents romans écrits en Tamazight fera entrer notre littérature dans l’universalité, et contribuent au développement de notre langue maternelle », lance-t-elle.
Née femme-écrivaine, elle ne l’est pas devenue !
Pleine d’engagement, elle écrit par fierté pour dire ce qui se trame au fins fonds de l’âme, celle de ses semblables, insoumises, fortes, toujours capables ! Elle, c’est cette femme kabyle, digne héritière de la Kahina et de Lalla Fadhma N’Soumer, et toutes les autres, les fidèles au combat identitaire. Beaucoup de femmes de lettre continuent de mener ce combat, que ce soit en français ou en arabe. « Je porte un intérêt particulier pour la mémoire et l’identité. Par conscience de l’importance d’écrire dans sa langue, j’écris en Tamazight par devoir et par fierté », déclare Farida Sahoui. Pour elle, « l’écrivain joue un rôle d’éducateur ou de coordinateur entre le monde du savoir et de la création et sa société. Il suffit de voir l’ampleur du travail de Mouloud Mammeri pour comprendre l’importance d’avoir un écrivain. »
Toujours à l’avant-garde, par ses lettres de noblesse, la femme kabyle transcrit et construit des forteresses. Elle sauvegarde ce qui lui est si chère. Par des poèmes ou par des proses, elle dit ce qu’elle pense, ce qu’elle ressent, sans tabous ni peur, elle se débarrasse du fardeau d’une société barricadée de garde-fous. Elle manie les mots, elle leur donne du sens ; par amour, par respect, elle séduit, elle s’impose, malgré tout ce qu’on pense. Etant femme, enfanter, elle sait ce que c’est, mis au monde dans la douleur, ses livres la font vivre, ils la délivrent. Pour sa langue elle est l’espoir, en pleure, parfois, elle cherche du blanc dans du noir, elle dit puis l’encre écrit des histoires, et elle en fait l’Histoire !
Hamza Sahoui