La littérature entre vecteur de patrimonialisation et objet patrimonial
Littérature et patrimoine, ces deux vocables, à priori, appartenant à deux sphères distinctes, sont fortement unis par un lien « consubstantiel » ; le conte, genre littéraire immémorial, s’appuie fondamentalement sur des mythes et des légendes faisant partie du patrimoine culturel. Par ailleurs, les créations littéraires, de toutes époques, transmettent en filigrane tout un héritage aux générations futures.

Ces ouvrages deviennent par le facteur-temps des objets de patrimoine voire des témoignages. Il s’agit alors d’un cercle infini, perpétuel et renouvelable, c’est l’éternelle continuité qui régit véritablement la relation unissant le « littéraire » et le « patrimonial ».
Le patrimoine immatériel, fait l’objet de nombreuses œuvres assimilées aux pierres fondatrices de la littérature ; les représentations de faits ou de personnages réels (légendes) ou imaginaires (mythes), déformées et/ou amplifiées par la tradition, sont au cœur de divers textes littéraires. Les contes populaires, précisément les contes de fées, tirent leurs origines de la mémoire orale. L’auteur italien Giambattista Basile est considéré comme le premier auteur à rassembler, dans son recueil Pentamerone, les premières versions des contes de fée les plus populaires, à savoir La belle au bois dormant, Le Petit Chaperon rouge et Le chat botté.
La toute première version de Cendrillon, par exemple, remonte au IXème siècle, en chine. Ce fameux conte, rapporté par la tradition, est retranscrit, à son tour, par Basile, dans son ouvrage déjà mentionné, pour arriver en Europe en 1634.
La même histoire fait donc l’objet de maintes versions de par le monde. Chaque pays voire chaque région possède sa propre version et sa propre recomposition qui reflète sa culture et confirme son identité. Le conte n’est qu’un héritage universel transculturel en continuelle mutation.
Le patrimoine peut être alors le fondement même du texte littéraire mais il peut également être transmis via ce dernier. L’auteur, en tissant minutieusement les fils de son histoire et en essayant de tramer méticuleusement les univers de ses personnages, transmet consciemment ou peut-être inconsciemment un tas de coutumes et de traditions par le biais de l’installation d’un décor quasi exhaustif englobant la temporalité, l’espace bref les circonstances de l’histoire relatée. Cette toile de fond subtilement mise en place n’est que le reflet d’un héritage culturel, musical, culinaire, Le lecteur qui se préoccupe de la lecture, de l’analyse ou de l’interprétation d’un ouvrage littéraire datant de l’Antiquité, du Moyen-âge ou d’un siècle bien précis, ne peut que s’imprégner du décor déjà installé et de l’atmosphère ainsi créée. Il se met dans la peau des personnages et commence à tâtonner peu à peu les traditions de l’époque en question, à palper les rituels et à saisir le savoir-vivre des personnages pour reconstruire finalement tout un héritage, légué par les aïeux à la postérité. Patrimoine et littérature sont inextricablement réunis.
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La littérature, quant à elle, acquiert progressivement la valeur et l’estime d’un précieux objet patrimonial, suscitant l’admiration et l’enchantement du commun des mortels.
Les vieux manuscrits, les ratures, les notes, les parchemins, les feuilles déchirées, les textes inachevés et les écrits inédits s’ajoutent aux lettres, aux correspondances envoyées ou reçues, aux photographies et aux objets ayant appartenu aux écrivains pour reconstituer un souvenir, une mémoire.
La demeure d’un écrivain bien déterminé, avec tous ses détails : l’architecture, les meubles, les couleurs et les nuances ainsi que tout lieu fréquenté ou évoqué dans les ouvrages de cet auteur revivifient l’histoire soigneusement tissée tout au long de plusieurs chapitres et réaniment, au sens étymologique du terme, les personnages qui auraient vécu au sein de ces endroits. Tous ces objets et ces lieux, qui rendent tangible et concrète la littérature et permettent d’appréhender la genèse du texte littéraire, constituent un héritage littéraire.
Les musées littéraires à savoir la maison des Charmettes qui a énormément influencé et inspiré Jean Jacques Rousseau ou encore le château de Saché qui abrite, depuis 1951, un musée consacré à Honoré de Balzac, les bibliothèques, les centres de documentation et les maisons d’écrivains sont les conservateurs du patrimoine littéraire matériel. Ils développent ainsi une vision patrimoniale et archivistique de la littérature. Ils tentent de satisfaire l’ardente curiosité d’un lectorat assoiffé, violemment envahi par le désir de dépasser le monde fictif du texte littéraire pour saisir le monde sensible et charnel de l’écrivain.
Loin de ce qui est matériel, certaines œuvres de nos prédécesseurs comme L’Iliade et L’odyssée, deux épopées de la Grèce antique, attribuées à l’aède nommé Homère et mettant en œuvre la guerre de Troie, conflit légendaire situé in illo tempore, représentent deux sources d’inspiration majeures pour la postérité. Traduites tout d’abord en latin, elles inspirent le poète latin Virgile et continuent jusqu’à présent à influencer les créations littéraires et artistiques.
Ces deux poèmes fondateurs de la littérature grecque sont reconnus comme deux grands chefs-d’œuvre de la littérature mondiale.
Le petit prince de Saint-Exupéry ou Alice au pays des merveilles de Lewis Carroll, deux ouvrages traduits dans des dizaines de langues, sont devenus, à leur tour, « un legs » mondial. Enfants ou adultes lisent et relisent ces histoires mais ils ne s’en lassent jamais. Ils jouissent d’un statut semblable à celui d’un objet patrimonial.
La littérature est alors intrinsèquement inhérente au patrimoine.
Ichraf Mansouri, ancienne étudiante à l’École Normale Supérieure de Tunis. Actuellement٫ professeure de l’enseignement secondaire à Kasserine
Ichraf Mansouri