Trait-d'Union Magazine

La littérature africaine. Fondement oral pour des perspectives écrites.

Discuter de la littérature africaine va en parallèle avec l’étude de l’histoire de ce continent. L’art en général, celui de l’écriture en particulier, s’est développé à travers les siècles en se modifiant selon les changements sociaux et les brassages ethniques et culturels qui se sont progressivement effectués dans cet espace.

Le patrimoine littéraire africain englobe un terroir oral très riche en matière de beau verbe, mais la transmission de la connaissance par la parole n’est pas crédible à la longue. Cette propriété verbale se délaisse, se défait et s’efface avec le temps à cause de la disparité des périodes, du cumul incessant des événements, de la disparition des premiers témoins et, bien entendu, à cause des limites de conservation de la mémoire humaine. Heureusement, l’écriture est présente pour emmagasiner, répertorier et sauvegarder par la même l’abondance immatérielle intenable de la littérature orale.

Des caractères d’expression écrite découverts partout dans le continent remontent à plusieurs milliers de siècles. Mais, c’est en Afrique du nord qu’on retrouve les premières traces physiques de la littérature africaine. Cette partie du continent a bien été l’espace d’un centre civilisationnel qui s’est épanoui autour de la Méditerranée pendant l’ère préhistorique et antique.

La civilisation pharaonique égyptienne se démarque par l’usage de l’écriture hiéroglyphe, un code d’expression pictural symbolique qui, par la suite, va donner naissance à d’autres transcriptions puniques, avant l’élaboration de l’alphabet des différentes langues telles que nous les connaissons à présent. L’empire de l’ancienne Égypte connut un essor fulgurant il y a presque 3.000 ans, l’écriture hiéroglyphique prit forme approximativement autour de cette date. Ces signes et ces symboles sont des lectures réservées à la classe lettrée seulement, c’est-à-dire à la famille royale et son entourage et aux hommes des temples. Gravées sur les murs des pyramides ou sur les sarcophages des tombes, ces écrits ne seront déchiffrés que vers la fin du 18eme siècle. Ils racontent des contes et des poésies amoureuses, on y lit des biographies, des prières, et de l’actualité de cette époque. Cet ensemble de textes intelligents est une véritable bibliothèque qui s’impose comme la littérature de l’Égypte ancienne. La littérature égyptienne ancienne et la littérature sumérienne mésopotamienne sont estimées par les anthropologues comme les plus anciennes au monde.

D’autres figures rupestres datant d’environ 5.000 ans sont découvertes dans le Sahara et dans la région du Sahel. Ces formes de dessins expressifs sont des peintures représentatives de scènes sociales de ces époques reculées. Elles sont également considérées comme de la littérature écrite, en regard des messages qu’elles véhiculent avec des sens qui décrivent les gestes et les états d’âme de leurs auteurs.

Qualifiées d’art néolithique, ces gravures dépeintes sur les murs des montagnes et des grottes sont souvent accompagnées de codes d’écritures anciennes qui s’apparentent aux signes « Tifinagh » qui est l’alphabet Amazigh, la langue originale de la communauté des Touaregs et des premiers habitants de toute l’Afrique du nord. Ce genre d’écriture, avec toutes les variations du Tifinagh, est connu de littérature libyque ou berbère, laquelle couvre l’aire linguistique qui s’étend du Soudan jusqu’aux îles Canaries.

Toutes les civilisations qui se sont succédé en Afrique du nord à travers les siècles ont chacune ramené son langage oral et de nouvelles formes d’écritures. Les Carthaginois, qui ont dominé le bassin méditerranéen vers l’an 800 avant J-C, avaient leur commandement installé en Tunisie. En plus de leur pouvoir militaire et de la densité de leurs activités commerciales, ils étaient très performants en matière de culture. La littérature, qu’ils ont perfectionnée, est nommée la littérature phénico-punique, en raison des langues phénicienne et punique que les Carthaginois ont utilisées. Pendant ce temps, les Grecs qui ont occupé l’Égypte parlaient et écrivaient avec l’alphabet latin.  

Les Romains qui ont suppléé à la présence des Carthaginois vers l’an 125 avant J-C ont, à leur tour, contribué à la fertilisation de la culture de la province nord africaine. La région a connu la création de nombreuses cités qui se sont graduées autour de ce qui était des comptoirs commerciaux et des points de ralliement à caractère militaire. Avec l’apparition du christianisme, ces nouvelles villes ont vécu une montée culturelle remarquable entre le 2eme et le 5eme siècle de notre ère. La pratique de la littérature s’est amplifiée pour toucher à une large partie des populations citadines. L’édification d’amphithéâtres, de bibliothèques et d’écoles religieuses servait notamment à la diffusion du savoir et à la promotion de la culture et de la langue latine. Les Romains se sont imprégnés des Égyptiens, des Grecs, des Carthaginois et des écrits religieux chrétiens pour asseoir une littérature dite romaine, latine ou byzantine, plus fraîche et plus vulgarisée, plus simple et plus facile à manier suite à l’introduction de la grammaire comme une science mécanique, utile à l’élaboration de l’expression et à la compréhension des écrits.

Les Vandales (435 – 534) et les Byzantins (585 – 698), apparus en Afrique du nord après la division de l’empire romain, ont gardé le rythme rayonnant de la culture assainie par les Romains durant les siècles de leur occupation des lieux (146 Avant J-C – 486).  Toutefois, toutes les invasions épisodiques des empires occidentaux de l’Afrique du nord étaient concentrées sur la partie côtière de la Méditerranée. L’intérieur du pays n’a pas vraiment été impliqué dans la civilisation occidentale. Les régions montagneuses, steppiques, sahariennes et sub-sahariennes ont conservé leur originalité première, leurs langages précisément. La littérature dans ces contrées, bien qu’elle ait réussi à s’adapter à toutes les périodes de l’histoire, elle n’a pas beaucoup changé de son caractère libyque authentique. Le progrès de la littérature écrite n’a pas vraiment couvert l’expression littéraire orale.

La conquête musulmane de « l’Ifriqiya » au 7eme siècle allait orientaliser toute cette partie du continent par la suite. L’Arabe allait incessamment prendre la place de langue principale de toute l’Afrique du nord. La culture populaire allait connaître une métamorphose extraordinaire dans ce mouvement d’arabisation généralisée. Mieux appréciée que l’aspect arrogant de la civilisation occidentale, la culture orientale a réussi à s’implanter et à s’élargir avec une rapidité vertigineuse, certainement à cause des infiltrations intercommunautaires des mœurs depuis la période antéislamique, des affinités similaires des traditions ancestrales, des échanges commerciaux déjà établis et parfois même des liens tribaux tissés à travers le voisinage des Arabes avec la partie berbère de l’Afrique.

Cependant, la grande raison qui a facilité la cohabitation des habitants autochtones avec les conquérants musulmans demeure le message divin que ces derniers transportaient et qui faisait l’objet principal de leur conquête. L’adoption de l’Islam par les nord-africains signifie leur adhésion à ses principes et leur conversion à ses opinions sur les questions sociales, politiques et culturelles. Au cours de leurs expéditions dans « l’Ifriqiya », les Arabes ont construit des lieux de cultes pour inculquer les idéaux de la nouvelle religion aux populations, mais aussi des établissements de scolarisations et des universités pour leur enseigner la théologie, la géographie, l’histoire et d’autres sciences techniques et sociales comme la médecine, les mathématiques, la botanique, l’astronomie, la sociologie et bien sur la littérature. Les plus célèbres lieux de culte et d’éducation se situent au Caire, à Alexandrie, à Kairouan, à Tombouctou ou à Fès.

Ce métissage de cultures résulte automatiquement de nouvelles idées, de nouvelles façons de penser et de se comporter remarquées dans la qualité de l’expression orale ou écrite. Loin de l’influence idéologique, la littérature arabe, reconnue pour ses penseurs émérites et ses grands poètes, a insufflé un nouvel air à la littérature berbère, antérieurement retouchée par des formes d’expression occidentales.

Après la chute de Grenade, l’arrivée des musulmans expulsés d’Andalousie, des savants notamment, a rajouté du jus et de la vitalité à la culture nord-africaine et de l’envergure à sa littérature. Des penseurs, des poètes, des voyageurs, des philosophes, des écrivains et des génies dans d’autres domaines que l’intellect vont compléter le champ littéraire avec leur savoir-faire pour aboutir à une littérature arabe spécifique à la région de l’Afrique du nord, différente de celle d’Arabie ou du Moyen Orient par ses stratégies géographiques, sa composante démographique, ses enjeux économiques et politiques et son lourd capital historique.

Contrairement à l’épanouissement culturel et littéraire enregistré en Afrique du nord, le reste du continent n’a pas vraiment connu un engouement remarquable en matière de littérature durant les périodes antique et médiévale. L’écriture est une marque de civilisation qui n’a atteint le centre et le sud de l’Afrique que pendant les temps modernes. Les traces écrites les plus anciennes sont découvertes en Éthiopie, un pays qui a connu une émancipation intellectuelle grâce l’avènement de l’église dans cette région. Il s’agit de la littérature Amharique qui s’exprime avec le système d’écriture Guèze, langue officielle des chrétiens orthodoxes d’Afrique. Cette littérature qui prit naissance au 13eme siècle rassemble des écrits hagiographiques en rapport avec la religion chrétienne. On y lit des prières, des sermons, des légendes et des épopées. Dominée par un contenu religieux, son enseignement est globalement moral.

On peut également rencontrer des livres en Hébreu ou en arabe datant du 16eme siècle, écrits respectivement par des juifs et des musulmans de cette partie est de l’Afrique, mais leur petit volume et leur usage communautaire restreint ne les élèvent pas au stade d’une véritable littérature.

Plus on se dirige vers le sud de l’Afrique et moins on découvre les traces d’anciennes écritures. Ce qui explique que cette partie du continent était absente de l’essor civilisationnel réalisé autour du bassin méditerranéen au sujet de la littérature écrite d’une part, et d’autre part, on peut comprendre la dominance totale de la littérature orale dans ces contrées qui ont croupi dans un mode de vie primitif jusqu’à l’arrivée des colons européens.

Faute d’écriture, les africains parlent pour exprimer toutes sortes d’émotions. Le patrimoine littéraire oral de l’Afrique est opulent de contes mythologiques, de récits historiques, de narrations d’aventures fantastiques et épiques, de poésies chantées, de paroles d’amour ou bien de travail. La littérature orale est souvent transmise par des griots qui se distinguent du peuple par leur intelligence et par leur grande mémoire à préserver les paroles et leurs manières fantaisistes de les réciter.

Malgré son aspect populaire virtuel, la littérature orale de l’Afrique est classée selon le langage utilisé ou l’ethnie à laquelle l’auteur appartient. On peut trouver dans la mémoire collective africaine des littératures locales et régionales définies par leurs dialectes ou par leurs régions : littérature mandingue, wolof, soga, mendé, swahili et des centaines d’autres figurent dans le catalogue traditionnel de la culture africaine.

Pour conclure, il faut retenir que la littérature africaine est plus enracinée au nord qu’au sud. Elle y est aussi plus multilingue et plus variée à l’image de la civilisation qui y est plus épanouie et plus universelle, du moins jusqu’à la période médiévale. Il faut aussi observer la solidité des langues maternelles comme Amazigh, Copte, Mandingue ou Yoruba qui ont résisté au temps et à l’influence linguistique externe en dépit de leur système de transmission oral. Certaines langues puissantes qui ont dominé le champ de la communication comme le Grec, le Latin ou le Punique ont fini par s’éteindre, leur usage ne dépasse pas le seuil des musées à présent. Il faut également prévoir que l’âge de la renaissance allait venir un peu tardivement en Afrique. La littérature africaine allait connaître une impulsion massive majestueuse dès la période coloniale et surtout pendant le 20eme siècle.

Abdelkader Guérine, Écrivain

Auteur

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Abdelkader Guerine est un poète et écrivain algérien auteur de plusieurs recueils de poésie parus chez Dar El Gharb. Il est aussi journaliste après une longue carrière dans l'enseignement. Passionné aussi par l'art, il a fait également ses débuts dans la peinture pour exprimer des émotions étrangement douloureuses pour teindre les mots de couleurs riches de vie. Après son premier recueil, l'Ombre de l'eau, où l'auteur essaie de traduire poétiquement l'existence comme un cadeau dont l'homme n'est jamais satisfait, il n'est pas maître d'un destin qu'il n'a pas choisi, il subit le temps et passe comme une ombre à coté de la vie. L'Ombre de l'eau voulant simplement dire l'ombre de la vie. La Fumée du vent est un deuxième recueil que le poète livre avec des images somptueuses de rêves joyeux que la réalité ne sait pas admettre, car la vie est trop courte et éphémère pour porter le bonheur que l'éternité entière n'a jamais réussi à définir correctement.

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