Trait-d'Union Magazine

Itinéraires : Mouna JEMAL SIALA

De l’enracinement local au rayonnement continental, l’itinéraire de Mouna Jemal Siala est un modèle du genre : née à Paris, son enfance a connu plusieurs régions et plusieurs cultures, dans le sillage de la profession de son père, haut fonctionnaire, gouverneur et diplomate.

Artiste tunisienne, maghrébine, africaine, citoyenne du Monde

De cette artiste qui documente sa vie de femme, celle de sa famille et de son patrimoine, celle de son pays et à qui l’on doit un livre « non à la division » pour une photographie citoyenne et qui est selon le site artfacts dans les dix artistes qui comptent en Tunisie et dans les mille artistes du classement français, on ne connaît que peu d’expositions personnelles. Par contre, elle participe très fréquemment à des manifestations collectives : douze expositions de groupe et sept biennales.

Aux beaux-arts de Tunis, sa passion pour le dessin la fera s’orienter vers l’atelier du graveur Mohamed Men Meftah.  Cette technique la séduit en particulier par ses possibilités de tirages, de duplication ainsi que par sa rigueur graphique. Après son diplôme elle prépare sa thèse sur l’ombre portée à Paris I sous la direction de Jean Lancri, intitulée « »Prise, Reprise, Surprise ». Elle dit : « Toutes les réalisations éphémères que j’ai faites dans le site sont liées d’une part à la nature et aux éléments de la nature, dont moi-même, et d’autre part au temps et à l’ombre. Ces réalisations qui se dégradent et meurent reprennent vie dans le non-site par le biais de leur représentation en photo-installation. L’acte photographique constitue le lien qui maintient le contact entre l’espace de présentation extérieur et l’espace de présentation intérieur. Comme avec la chronophotographie je cherche à montrer le mouvement de la marche de l’ombre et par voie de conséquence, celle du temps ».

La représentation du temps …

Cette obsession du temps qui passe et qu’il faut saisir, cette idée que le temps est intimement lié à l’ombre et à la lumière sont à la base de ses recherches artistiques.  La représentation du temps, intimement liée à la conscience de soi va la poursuivre toute sa vie.

De Paris, elle retient cette image : entrée dans Beaubourg, elle est bouleversée par le nombre et le silence des personnes qui lisent à la bibliothèque. Elle devient parisienne, son livre à la main et fréquente assidûment les lieux de culture qu’offre la capitale. Elle réalisera sa première exposition au CROUS du boulevard Saint Michel.

En 2000, Fatma Charfi devient la première artiste femme à obtenir à Dakar le premier prix, Léopold Sédar Senghor. Pour Mouna, c’est une révélation. Une ambition naît : tout devient alors possible.

Elle revient en Tunisie et constate avec surprise que les galeries sont rares et les artistes peu organisés.

Avant de devenir mère de triplés en 2003 elle assemble 2500 photographies de sa famille pour faire son propre portrait, son album personnel, pressentant que sa « vie d’avant » ne serait à a plus celle d’après la maternité. Naît alors : « souvenirs d’un portrait en souvenirs ». La photographie et ses différents traitements deviennent les matériaux de base de son expression artistique.

En 2004 , elle obtient le grand prix de la Ville de Tunis avec  « Halima , ma Joconde » , une photographie en forme de fractales .

Ses œuvres sont remarquées lorsqu’elle organise « points de vues » une installation pluridisciplinaire : vidéo, photographie, sculpture … sur la famille et son nouveau statut de mère de triplés . le carton d’invitation est sur plexiglas.  Les visiteurs la trouvent conceptuelle et ne pensent pas à acquérir une de ses œuvres. Par contre, elle sera invitée à Osnabrück   avec  d’autres artistes tunisiens dont Fatma Charfi ,  Hamadi Ben Saad , Abderrazak Sahli et Insaf Saada .

Elle remportera le prix de la sculpture d’un rond-point en forme d’orange de céramique, que l’on croyait avoir toujours été posée là, à Menzel Bou Zelfa . Cette sculpture sera détruite en 2016, sous les yeux d’une Tunisie devenue méconnaissable. Il y a le conseil municipal scélérat, l’indifférence des citoyens, celle du Ministère de la Culture. Et puis, personne ne se mobilise non plus, il faut bien le dire.

…La représentation du corps …

2009 est une année riche en événements : elle participe au festival Panafricain d’Alger , le Panaf , crée le 21 juillet 1969 , une immense  plateforme d’art contemporain : elle découvre un monde nouveau , avec des rencontres improbables et une thématique qui lui est chère : les arts de la culture africaine , le rôle de la culture africaine dans les luttes de libération nationale et dans la consolidation de l’unité africaine, le rôle de la culture africaine dans le développement social de l’Afrique.

Elle part à Bamako.  Le thème de la biennale est « la frontière ». Elle installe son projet « kaleidoscope familier », où l’on voit ses enfants démultipliés jouer dans l’appui d’une fenêtre, entre le fer forgé et la vitre fermée. Ils sont sur la frontière entre l’extérieur et l’intérieur et elle doit l’expliquer aux organisateurs qui pensent qu’elle a mal compris le thème de la frontière avec ce qu’elle sous entendait.

Ce projet sera primé. C’est le succès qui lui offrira les portes de Dakar en 2010. Elle travaille sur l’esclavage et la traite négrière qui avait comme point de départ Gorée, et présente « le sort », un essaim d’enfants soigneusement stocké dans un contenant rectangulaire comme des insectes dans une boîte d’entomologiste ou des esclaves dans un bateau négrier.  L’ambigüité et la forte charge symbolique de l’œuvre lui valent le grand prix du Ministère de la Culture.

Dix ans après Fatma Charfi , elle a réalisé son rêve .

 La photographie citoyenne.

En 2011 , la révolution éclate en Tunisie . C’est la fin d’une époque. En 2012, pour « Dream City » , avec Wadi Mhiri, ils forment les couples improbables et pourtant si divers de facelook facelike , ( facebook avait été « libéré » entre-temps et était devenu « sa galerie » ) . C’est la grande découverte du vote libre et volontaire par les Tunisiens dans leur diversité.  Les électeurs- spectateurs sont bluffés.

En 2013, elle oriente son objectif vers la photographie citoyenne dans les remous politiques de la Tunisie de l’époque qui voit une prolifération de partis politiques et des affrontements partisans : Mouna fait son projet « non à la division », qui se décline en exposition et en publication et montre des visages de tous âges et de toutes catégories sociales tous réunis par une ligne noire verticale tracée sur le visage. Leur histoire y est aussi.

L’art devient résistance et l’on passe au « piège », vidéo où l’on voit une femme progressivement sous un voile et grillage noirs. Quarante-quatre autoportraits d’une femme en mutation. Elle dit : « en 2013, j’ai réalisé le Piège, une vidéo que j’ai voulue l’expression d’une « résistance » au piège qui nous était tendu par de nouveaux dirigeants venus d’une autre ère et que nous ne pouvions contrer que par notre véritable volonté et par nos propres mains ».

De 2007 à 2018 où elle est montrée à Pérouse, la vidéo n’a pas pris une ride et hélas elle n’en prendra pas de sitôt.

Finis les autoportraits de 2002.On pense à « la métamorphose » de Kafka.

C’est aussi la vidéo « le fils », en 2015, où par l’intermédiaire des pixels qui vont exploser l’image, celle du fils parti rejoindre l’armée de Daesh se pulvérise.

La famille, la société.

« Sur quelle partie de la maison es-tu assise ? » peut-on entendre parfois chez l’artiste. Elle qui a parlé de l’ombre du temps dans sa thèse, telle un fil d’Ariane, continue à tirer la même pelote : le temps qui passe et qui invisibilise le passé . C’est la maison des grands-parents, le borj Keskes , qui est photographié , dans son « jus » , avant que ne disparaissent les souvenirs d’enfance .  On s’assied sur les photos de « SOS Borj en péril » qui habillent les coussins des canapés. En vérité, au-delà du borj , c’est toute la Tunisie d’antan et d’aujourd’hui  qui disparaît peu à peu , qui se ratatine pour faire place à des constructions aussi laides qu’anonymes .

Les borj seront déclinés en coussins et vêtements et seront exposés à Dakar. Mouna lavera son linge en public et l’étalera dans le patio du palais de Justice, à Dakar de nouveau. Les propositions vont pleuvoir. A Paris, elle représente la Tunisie pour l’exposition qui a lieu au Palais de Chaillot, en marge de la COP21 « lumières d’Afrique ».

Nous sommes en 2017 et c’est la biennale de Casablanca : elle travaillera sur le monde disparu de ses parents « hommage à mes parents ». En 2018, c’est l’installation de « Gorée, l’inquiétante étrangeté », réalisée avec Sadika Keskes qui suscite l’émotion. Des femmes emmitouflées dans des voiles pénètrent la mer pour ne pas en revenir. Seuls reviennent les linceuls. Mouna est alors la directrice artistique de Dakar.

« Sur la route quotidienne »

 Comment essayer de vivre dans un environnement qui se dégrade ? Les sujets de thèse vous poursuivent toujours : « le temps « et « l’espace » sont toujours prégnants.

« Sur la route quotidienne » est un projet qui commence en 2017. La Tunisie continue à s’enlaidir et à se salir, les femmes à se couvrir, les jeunes à émigrer. La réalité est là. Elle la filme et la photographie à travers des prismes lumineux. Elle propose à U.V Sousse, pour la première édition, des carrés de plexiglas roses pour voir la ville autrement, à partir de l’esplanade du musée.

C’est l’année des installations d’évènements lumineux à Dar Haddad, à Tunis et dans le cadre d’interférences et à Djerba, avec « SEE Djerba ».

La vie quotidienne continue, la Vénus de la Hafsia, en treillis de fils de fer est exposée au musée du Bardo dans le cadre d’une exposition collective et « Ulysse de la Hafsia » partira à Rabat, pour la biennale, de nouveau puis continuera son voyage vers le FRAC Val de Loire.

« Khoudha sur la route quotidienne » est l’aboutissement de trois ans de travail en partie dû au confinement : photographies, vidéos, sculptures sur métal, dessins, broderies et musiques, tout ce monde ce télescope pour nous montrer ce qui documente ses trajets quotidiens, où elle subit, depuis sa voiture son environnement visuel tout en écoutant la musique de son choix.

Une collaboration avec le musicien Zied Zouari et la fashion designer Latifa Hizem, tous deux engagés dans leur discipline comme dans une résistance au laid qui nous entoure est enrichissante et fait se répondre des sensibilités aux moyens d’expression différents. 

 L’exposition -tryptique de « Khoudha » : un salon de musique, des divinités romaines, la vie quotidienne a pris place à la villa de la Volière, dans le parc archéologique de Carthage, pendant deux mois.  Une petite biennale personnelle, en quelque sorte.

Le travail sur la photographie a abouti sur une technique particulière de représentation par des pixels géants, qu’ils soient dessinés ou photographiés. Ce mode fonctionne aujourd’hui comme la signature de l’artiste qui a transposé ses images en street art urbain (« Océan », Sousse, 2020) et Gustave Flaubert en 2021, à l’occasion du bi-centenaire de sa naissance.

A petite échelle, le pixel peut être dessiné au crayon ou emprisonné par la superposition de grillages. A grande échelle, pour un mural urbain, il peut être en deux valeurs sur une tôle découpée qui le rend invisible à l’œil humain, obligé de prendre du recul pour comprendre l’image.

Mouna Jemal Siala continue son exploration des techniques toujours mise au service d’une idée conceptuelle forte ancrée dans sa tunisianité, le corps de la femme, la vie quotidienne.  Elle est en train d’inventer un langage qui s’exprime uniquement graphiquement et qui est capable de nous transmettre des informations et des émotions comme le feraient un langage parlé ou écrit.

A travers ce parcours de vingt ans, l’on voit se former une artiste aux différents engagements, toujours volontaire et que l’on sollicite : en novembre 2022, elle participera au festival du FRAC Val de Loire à Vierzon et emportera avec elle un peu de cette Carthage qui s’avère avoir donné une sainte à Vierzon. Une famille d’artistes s’est constituée, aussi. Entre l’Algérie, la Tunisie et le Maroc, les membres de cette famille élective grandissent ensemble et suivent leur évolution artistique. Dans ce milieu, c’est très rare. C’est très rare en Tunisie, surtout, où la situation est la même qu’il y a vingt ans : les galeries sont toujours rares et les artistes sont toujours aussi mal organisés.

Auteur

avatar

Hédia Lesage a été conseillère des services publics au Ministère des Finances en Tunisie, chargée du budget des ministères de la Culture et de la Jeunesse et de l’Enfance. Elle a ensuite été chargée de la programmation budgétaire à l’Institut National du Patrimoine. Aujourd’hui enseignante, elle continue à agir dans le domaine culturel et en relaie l’actualité en écrivant des chroniques et des articles dans diverses revues, qu’elles soient en ligne (Transverse, Ideo magazine, 1001 Tunisie, Highlights) ou sur papier (Femmes de Tunisie, Maisons de Tunisie, IDDco).

Ana Hiya !

Ana Hiya !

Cette mer est la mienne

La mer était toujours la solution !
Dans un paradoxe, de ce qu’est la mer pour nous, les peuples au-delà des mers, elle était toujours la solution !
Nous appartenons à ces mers et elles nous appartiennent … Quand tu t’enfuis vers elle, tu veux la vie, elle t’offre la vie.
Quand tu t’enfuis vers la mer pour une mort désirée, elle te guide vers la mort.

La littérature féminine d’expression Kabyle, rempart de la langue maternelle

Le paysage littéraire dans notre pays est en évolution permanente. Telle une prise de conscience, la femme s’est investie pleinement dans la production et œuvre ainsi à son essor. Cependant, ces dix dernières années, la littérature d’expression kabyle a connu une effervescence remarquable, particulièrement, avec l’émergence d’un nombre de plus en plus croissant d’auteures-femmes de romans écrits en leur langue maternelle, la langue chère à Mouloud Mammeri, Tamazight. Elles sont nombreuses, elles se comptent par dizaine, aux parcours et styles différents. Elles ont toutes cette chose en commun : l’envie d’écrire en sa langue maternelle !
« Ma langue chérie, je n’ai pu raconter l’histoire que par toi et je n’ai pu reconnaitre les choses que par tes mots ; je ne me suis réjouie avec les sens du parler que par tes dires, je m’aventure comme je veux et jamais je ne suis tombée dans le vide. Je n’ai pu prouver avec exactitude mon idée que par ta richesse et par la force de tes mots. », écrit Farida Sahoui, en s’adressant à sa langue maternelle dans l’un des chapitre de son livre écrit sur le Roi Jugurtha en trois langues (français, arabe, tamazight). A son compte trois livre depuis qu’elle a renoué avec sa plume en 2015. En effet, ses premiers écrits en Tamazight remontent aux années 90, des articles publiés dans le journal « Le Pays » (Tamurt).

Femmes du Maghreb, comme si cela datera d’aujourd’hui…

Il y a dans l’histoire de l’Humanité une vérité cachée qui n’est connue que par les avertis et les prévoyants. Ceux-là mêmes qui ne se laissent pas griser par les artifices de la « marchandisation » du monde. Mais cette vérité, quand bien même est altérée, voir muselée par les partisans du statuquo, ne saurait rester à jamais occultée. Et viendra le jour…

Un Cœur Exilé

Si les dernières années ont vu un vent de liberté souffler sur l’Algérie, une revendication cruciale peine à s’y faire accepter, comme un cheveu déposé sur la soupe du consensus : la question des droits des femmes semble éternellement problématique. Face à cette stagnation rageante, il est capital de continuer le combat afin d’améliorer la condition de la femme dans notre pays et au-delà.

Le pardon, la grâce des mères

En France les féminicides sont devenus une banalité médiatique. En écoutant la litanie des statistiques, je ne peux m’empêcher de revenir à mon enfance, et à ce sinistre jour bien particulier. Les souvenirs sont parfois aussi douloureux que les actes.

Ce qui reste de l’hiver

Longtemps, j’ai mis ma plus belle robe pour accueillir le 8 mars. Je me fardais avec subtilité, comme je sais si bien le faire, lâchais mes cheveux, mettais un manteau et des chaussures assortis et allais rejoindre deux ou trois copines pour un après-midi shopping, un café ou, parfois, un film à la Maison de la Culture. Je sais, vous trouvez ça ridicule, et peut-être que vous avez raison. Mais quand vous travaillez debout, du matin jusqu’au soir, tous les jours que Dieu fait, que vous devez supporter une marmaille d’enfants qui s’amusent ou se chamaillent pendant que vous vous tuez à leur expliquer le sens de telle phrase ou la moralité de tel texte, et que, une fois rentrée chez vous, vous devez vous occuper de deux mâles paresseux – votre mari et votre fils – eh bien, croyez-moi, vous guettez le moindre moment de détente. Quand, en dehors du 08 mars, ai-je le temps de voir mes amies ou d’aller à un gala ? Alors, pourquoi ne pas en profiter, mon Dieu ? C’est ce que je me suis dit pendant des années.

ROUGE IMPURE

Sang de mes menstrues. Sang de mes entrailles. دم الحيض. Sang cyclique. Sang impur, de la fille devenue femme. Femme-diablesse. Folle fieffée. Femme pécheresse. Âsiyah ! Ya latif, ya latif ! En ce premier jour de l’écoulement de mes menstrues, je serai confinée dans la pièce de mes supplices éternels, loin de l’odeur capiteuse du […]

JE NE SAIS QUE T’AIMER

Je ne sais que t’aimer et pour ce crime ils disent que je suis devenue impure que j’ai oublié Dieu que j’écris ton corps et ton nom que le feu me guette quand moi je parle de lumière Je ne sais que te dire et dire et dire et la nuit dit avec moi les […]


Suivez-nous sur les réseaux sociaux: