IBNOU SINA, LE CHEIKH RAÏS (980-1037)

Il est des endroits où souffle l’esprit, et des gens sur lesquels souffle ce même esprit. L’homme est Ibnou Sina universellement connu sous le nom d’Avicenne. Homme d’une exceptionnelle extraction, cette grâce divine qui le frappa au dos l’accompagnera jusqu’à sa mort en 1037 grégorien. Qui était-il ? Il fut médecin, chirurgien, philosophe, psychologue, astrologue, physicien, chimiste et poète, n’était-ce la mort qui l’a ravi aux siens à 57 ans, il aurait davantage changé la face du monde médical. Six siècles avant J.C. fut écrit le tome I de l’anatomie humaine. Un siècle plus tard se présenta au monde, avec son génie, le grec Hippocrate qui fit sortir la médecine de la superstition, de l’empirisme et porta les fondements de la science et du diagnostic sur l’évaluation et le raisonnement. Il indiquait la place de la médecine au chevet du malade et on au temple. Enfin l’enfant prodigue vint. Il apporta la contribution du monde arabe (puisqu’il rédigea son œuvre médicale en langue arabe) à l’école de Salerne, qui débuta en l’an 1000 et cessa de briller en l’an 1300. Avec lui, la médecine frappait déjà aux portes de la civilisation. L’imprimerie (autre bienfait de l’homme) permit l’impression et la diffusion de son ouvrage princeps, à savoir le Chiffa, universellement connu sous le vocable «canon de la médecine» diffusion, aux dires de l’époque, qui ne fut dépassée que par les tirages de la bible. Son chiffa servit de bible à toutes les universités d’Europe, de Montpellier jusqu’à Padoue et ce, jusqu’au 17è Siècle, époque du «malade imaginaire» de Molière. En quoi consistait l’originalité de la médecine d’Avicenne ? Pour la première fois, il étudia le fonctionnement du cerveau. Il y définit les différentes opérations mentales : perception, mémorisation, réminiscences, imagination. Avant lui, Aristote localise la présence de l’âme dans le cœur, Ibn Sina la proposa au niveau central, le cerveau, lieu où, selon lui, s’effectueraient toutes opérations mentales. Ses hypothèses préscientifiques ne pouvaient, à l’époque, être accompagnées d’expérimentation comme de nos jours et pour cause. Il refusa de faire de l’âme une entité spirituelle distincte du corps, et pour cela, il fut le précurseur de la médecine psychosomatique, partie de la médecine qui tente de soigner les maux par les stimulants psychologiques. A son crédit et à sa gloire, ajoutons qu’après avoir éliminé les explications magiques, les influences maléfiques, les phénomènes irrationnels, il imaginera sa propre « trithérapie » inconnue jusqu’alors à savoir : la médecine par la parole, par le fer, par les plantes et les substances minérales. Par la parole, il réussira à sauver d’une lamentable situation, le fils de la princesse Zoubida, dans une affaire hautement sentimentale. Le prince fut considéré comme mentalement dérangé, inguérissable et donc inapte à la conduite des affaires du royaume. Par le fer, il opéra des calculs de la vessie, des cataractes, fera des ablations, et même de la chirurgie de guerre avec des instruments de sa propre invention. Par les plantes enfin, il introduisit en préopératoire, des breuvages à base d’opium comme anesthésiant et antalgique pur, comme la jusquiame (plante méditerranéenne) comme antispasmodique et de l’aloès (plante originaire d’Afrique du Sud) comme antihémorragique et cicatrisante. Il réussit à guérir un prince de son intoxication par le plomb, intoxication connue de nos jours sous le vocable de saturnisme. Au soir de sa vie, malade, après avoir connu gloire et gloriole, délateurs et prédateurs lui apprirent avec un cinglant cynisme, qu’il avait rédigé l’imposant et prestigieux «chiffa» et que son «chiffa» ne l’a point guéri. Il leur répondit par une affectueuse reconnaissance à Dieu, leur affirmant que son talent et bienfait lui étaient venus de son Créateur, que «c’est à LUI qu’il faudrait rendre grâce, je ne possède que ce qu’il m’a donné.» Sur son lit de mort, il ordonna la distribution de tous ses biens aux pauvres. Il ferma les yeux et s’en alla comme il était venu. Une constellation dans le ciel de la médecine venait de s’éteindre à jamais…
Adel Hakim
Journaliste, Chroniqueur.