Cette mer est la mienne
La mer était toujours la solution !
Dans un paradoxe, de ce qu’est la mer pour nous, les peuples au-delà des mers, elle était toujours la solution !
Nous appartenons à ces mers et elles nous appartiennent … Quand tu t’enfuis vers elle, tu veux la vie, elle t’offre la vie.
Quand tu t’enfuis vers la mer pour une mort désirée, elle te guide vers la mort.

Cette mer est la mienne est un projet de film que j’ai réalisé en mars 2020, avec une vieille caméra « Olympus OM-10 » et un vieux film noir et blanc « AGFA APX 100ASA 36 POSES ». C’était mon deuxième film. Donc pour le développement, je ne sais pas quels produits ont été utilisés. Pour une fille qui a passé la plupart de sa vie au bord de la mer, la mer n’était pas une partie importante de sa vie. Mais en perdant quelque chose, on connaît sa valeur. Par son absence, la mer est devenue un élément omniprésent dans ma vie. Après les six mois que j’ai passés à Lille, la mer m’a manqué. C’est la première fois de ma vie que je suis resté 6 mois sans voir la mer. La mer n’est plus pour moi seulement un endroit où se baigner en été et une couleur bleue que l’on contemple et dont on poste les photos sur les stories Instagram et les réseaux sociaux en hiver. Elle est devenue plus que cela. La mer est devenue, pour moi, porteuse de nombreuses significations. Par exemple, à Tunis, elle signifiait le luxe et la distinction sociale : la bourgeoisie et la classe aisée de la société vivaient au bord de la mer et



ils appréciaient sa couleur bleue chaque matin en sirotant une tasse de café français. Quant aux autres classes sociales, elles devaient faire entre une et deux heures de trajet pour atteindre la mer. La bourgeoisie se baigne dans les mers privées des hôtels, des restaurants et des bars, tandis que les autres classes de la société se baignent dans la mer la plus proche qu’elles peuvent atteindre. Pour la grande majorité des jeunes chômeurs, la mer est la frontière entre eux et leurs rêves. Ils rêvent chaque jour en contemplant la mer de la traverser pour rejoindre l’Europe, le continent qui renferme pour eux tous leurs rêves, leurs espoirs et les secrets de la vie. Pour certaines mères, la mer représente les vagues qui ont volé leurs enfants lorsqu’ils étaient en âge de fleurir en essayant de traverser la mer pour atteindre leurs rêves. Quant à moi, la mer était le seul moyen d’échapper aux idées déformées qui se sont accumulées dans toutes les ruelles de la société et aussi d’oublier le capitalisme et ses vestiges. Mais malheureusement, à Gabès, ma ville natale, il est un peu difficile d’échapper au capitalisme et à ses vestiges, car oui, nous avons des usines les pieds dans l’eau, quoi ! Eh bah, oui, donc la moitié gauche de la mer (où l’on ne voit pas les usines) était pour moi le seul moyen d’échapper aux idées faussées qui se sont accumulées dans toutes les ruelles de la société et aussi d’oublier le capitalisme et ses vestiges. Mais pourtant, cette mer est à moi et elle sera toujours à moi, à nous, à vous, malgré eux, malgré leurs usines, leurs frontières capitalistes qui divisent le monde en deux (un monde développé et un monde sous- développé), malgré leurs bourgeoisies, leurs restaurants (où le prix d’un seul menu peut être l’équivalent du salaire d’un ouvrier dans leurs usines) et malgré eux, cette mer est à moi et elle sera toujours à moi. Un jour, nous prendrons un verre sur cette mer à la santé de toutes ces classes moyennes qui étaient limitées aux restos et bars du centre-ville, loin de la mer, parce que ce sont les moins chers.
A la vôtre !


Mars, 2020
Appareil Photos : Olympus OM-10 // 50mm
Pellicule :AGFA APX 100ASA 36 POSE
Date de réalisation : Mars 2020
Date de développement : Mars 2020
Localisation : Tunis, Tunisie
Aya AMOR CHRIKI