Au commencement était la femme…

L’histoire des peuples est liée à l’histoire des femmes qui la composent. Sans jeu de mots équivoques ou lapidaires souligné par cette « doxa », c’est même sa pierre matricielle. Banalité des constats confrontés aux tragiques faits divers qui continuent d’interroger le degré de sexisme et de civilisation des sociétés concernées, sans parler de l’inégalité des droits élémentaires et du processus d’invisibilisation des femmes dans bien des domaines de la réussite professionnelle.
Depuis 1911 « Une Journée internationale des droits des femmes » ne persisterait pas, au milieu des nouvelles impérieuses et tragiques telles que la fin de milliers d’espèces, des hécatombes de personnes liées aux virus actuels et de la catastrophe annoncée de la fonte des Pôles, si de triste évidence la nécessité de reconnaissance des droits universels de la gent féminine ne restait pas prioritaire.
Et dans cette mobilisation générale, que faire de la mémoire patrimoniale de celles qui se sont distinguées durant les conflits, pourtant si absentes des plaques commémoratives et des ouvrages scolaires ? Les femmes seraient-elles éternellement les grandes oubliées de l’Histoire ?
Quelques générations plus tard, alors que la pandémie exacerbe les fractures de notre monde et les inégalités genrées, des descendantes bercées par le destin héroïque de leurs ancêtres choisissent par le truchement romanesque de remettre à l’heure certaines vérités sur les pendules de l’Histoire. En Algérie, c’est le cas tout récemment de Ferroudja Ousmer, ancienne Professeur d’Economie et de Droit, avec son récit « Derrière les larmes de ma grand-mère ». L’intimité du titre de l’ouvrage est déjà en soi un défi littéraire. Mais après tout, dans les luttes légitimes des populations, ce sont bien les voix à vif des aïeules qui signent de leurs paroles et de leur encre sympathique bien des chemins d’accès aux traités de paix et de sagesse, depuis la nuit des temps.
En ce début d’année 2022, sans proposer un modèle particulier d’identification géoculturelle parmi tant d’histoires singulières et édifiantes, il plaira de l’associer au contexte marqué par la prochaine célébration du 60ème anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie, pour illustrer d’un récit et d’une écriture efficace la grandeur d’âme des femmes et des mères qui ont vécu dans leur chair les épreuves du pays en dépit de leurs conditions bridées. D’autant que, de surcroît, la volonté de l’auteure est de se réapproprier une mémoire écrite de l’Algérie qui, longtemps, fut « colonisée » par des témoins et historiens français, hommes de surcroît.
Dans cet ouvrage autobiographique qui narre l’histoire de Lolodje, jeune fille de Kabylie, s’articulent d’autres récits en forme de fresque, celui de sa grand-mère durant la guerre de Libération, des récits douloureux du frère, celui de la vie patriarcale post-indépendance pour finir sur la problématique d’une femme animée par des rêves de modernité face au poids des traditions. Le récit évoque au fil du temps l’évolution des relations humaines sous le regard critique de l’héroïne et déplore les conséquences de cette volonté d’émancipation personnelle.
C’est de ce fourmillement narratif d’une vie peu ordinaire où rien n’est gagné d’avance que l’auteure fait son miel. Les déconvenues, l’audace et le courage y sont au rendez-vous des épisodes officiels. Se méfier des usages et des assignations dressées comme des barrières à l’encontre de certaines catégories d’individus et qui les assujettissent. Au fil des générations, ils finissent par générer des causes justes à défendre. Tel semble l’un des messages essentiels de cette volonté d’existence, quoiqu’il en coûte.
Sans tomber dans un excès de genre, sujet à critiques ou concepts orientés, communiquer et écrire sur et avec l’histoire des femmes demeure plus que nécessaire. Chaque témoignage ou réflexion sur les conditions des femmes à travers le temps et le contexte socioculturel, ne doit pas être perçu comme une antienne éculée ou un réquisitoire, mais plutôt comme une transmission indispensable, un état des lieux édifiant pour approcher des contradictions des sociétés actuelles en perte de repères, plus soumises au diktat des algorithmes et des références technologiques qui gèrent le poids boursier de l’alpha et l’oméga des réalités planétaires, qu’aux nécessités des personnes.
Dans l’hyperspatialité attractive proposée par l’usage du Net, applications et « capsules » audiovisuelles en séries, qui rendent la pseudo-connaissance du monde plus prégnante et suppose de nouvelles organisations des sociétés humaines, soit de nouvelles manières interagissantes d’habiter la Terre, quelle place occupe la communication concernant les nécessités des femmes dans ce paysage médiatique si imprévisible?… Les questions restent posées.
Par les temps qui s’accélèrent, comme le suggèrent laconiquement certains scientifiques: « Etre humain sur la Terre, c’est consentir, bon gré mal gré, à mettre le Monde en commun avec d’autres humains qui l’occupent ».
Crédit Photo Lynda Belbachir
Jacqueline Brenot
Jacqueline Brenot est née à Alger où elle a vécu jusqu’en 1969. Après des études de Droit, de Lettres Modernes et de Philosophie, elle devient Professeur Certifié de Lettres en Lycées, Collèges et Formation Adultes du Greta à Paris et dans la région parisienne. Conceptrice et animatrices d’ateliers d’Écriture et de Théâtre et de projets nombreux autour de la Citoyenneté, Jumelage de villes, Francophonie. Plasticienne avec le groupe Lettriste d’Isidore Isou. Assistante de projets de l’Astrophysicien et Plasticien, feu Jean-Marc Philippe (www.keo.org). Auteure de nouvelles et poèmes inédits, elle a publié « La Dame du Chemin des Crêtes-Alger-Marseille-Tozeur» chez L’Harmattan en 2007,dans la collection « Graveurs de Mémoire ». Participe à des ouvrages collectifs, comme « Une enfance dans la guerre » et « À L’école en Algérie des années 1930 à l’Indépendance » chez les Éditions Bleu Autour. Des nouvelles et de la poésie à la « Revue du Chèvrefeuille étoilée ». Chroniqueuse à l’hebdomadaire Le Chélif depuis février 2018, a publié « Œuvres en partage » Tome I et II, présentés au SILA 2019 à Alger.